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l’homme et la terre. — rome

pour l’Etat romain beaucoup plus un accomplissement qu’une révolution. Vainqueurs de l’aristocratie, César, puis Auguste représentaient par cela même en leur personne divine le triomphe de la démocratie. Les tribuns qui avaient plaidé pour le peuple contre les patriciens s’incarnaient désormais dans l’empereur ; c’est à lui que devaient s’adresser toutes les revendications, et la tourbe des sujets n’avait qu’à louer sa grandeur et sa générosité lorsque d’immenses approvisionnements de vivres leur étaient distribués, avec accompagnement de fêtes et de cérémonies triomphales.

Néanmoins Auguste, tout assuré qu’il pût être de l’abjection des multitudes, avait un danger à conjurer, celui qui pouvait résulter de l’excès de force intellectuelle et morale bouillonnant encore dans les générations héritières de tous ceux qui avaient agi pendant les siècles de l’oligarchie dite républicaine ; il lui fallait à tout prix séduire ou écarter tous les hommes qui avaient encore de la fierté, le mépris des grandeurs, un caractère personnel. Des proscrits se dispersèrent encore une fois sur les grandes routes de l’empire, mais après l’œuvre de violence vient celle de l’astuce : il s’agissait de terminer en douceur la besogne que les bourreaux avaient commencée, et César-Auguste fut un maître dans cet art.

D’abord, il éloigna les meilleurs en les envoyant défendre la puissance romaine sur les frontières de l’empire, puis, à Rome même, que de fausses occupations, que de charges inutiles, que de sinécures il sut créer pour donner le change à tout un monde de fonctionnaires qui se prirent au sérieux ! Il y eut des poètes de cour, des moralistes publics, des fonctionnaires pour la vertu, mais il y eut aussi des prêtres. Auguste fut avant tout un restaurateur de la religion, et les vieilles pratiques délaissées furent rétablies avec soin : désormais les augures, pénétrés de l’importance de leurs fonctions, eurent à « se regarder sans rire ». Mais parmi tous ces rites il n’y en eut point qu’on dût célébrer avec plus d’onction et de ferveur que le culte de l’Empereur lui-même, le grand dieu de la Terre, associé aux grands dieux des cieux. De même que des extatiques chrétiens se vouent au « sacré cœur » de Jésus ou au « sacré cœur » de Marie, des sujets, ivres d’abjection servile, se vouaient à la divinité du Maître Universel.

Dans chaque famille, les Pénates impériaux avaient pris place au-dessus des Lares de la maison et du quartier. Ainsi l’auguste divinité