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l’homme et la terre. — phénicie

l’authenticité du voyage, et c’est précisément sur ce dire que s’appuient maintenant les géographes — pourtant, il en est encore beaucoup d’incrédules — pour conclure à la réalité de l’événement. La nature insulaire de l’Afrique était bien connue à cette époque : en punition d’un forfait, Sataspes fut condamné par Xerxès à accomplir le long périple, il doubla le promontoire occidental, nommé Soloeïs, mais, effrayé par la longueur du trajet, revint sur ses pas[1].

Tous les marchés lointains de fondation phénicienne ne pouvaient continuer de se rattacher à la mère patrie que par les liens moraux de la parenté et de la sympathie, par la communauté de langue et par les traditions et pratiques religieuses, d’ailleurs destinées à se modifier, bientôt sous la pression de milieux différents. L’éloignement devait rompre le lien politique ; Tyr et Sidon n’avaient point de troupes coloniales à leur disposition, ce qu’interdisait du reste le bons sens pratique de commerçants habiles, soucieux de leur liberté d’initiative. Le pouvoir politique des cités phéniciennes ne pût s’exercer dans une certaine mesure que sur les terres de la Méditerranée orientale, mais toujours sous une forme différente de celle de la conquête pure et simple : le commerce d’échange nécessitant la production des richesses et une certaine entente avec les producteurs.

Dans la plupart de ces terres orientales de la Méditerranée, on a constaté que les ports et lieux de mouillage les plus anciens, c’est-à-dire les escales visitées par les Phéniciens et les Ioniens de l’Asie Mineure, étaient situés d’ordinaire sur les côtes orientales, tandis que les criques et plages d’accès utilisées plus tard par les Hellènes se trouvent sur les littoraux de l’ouest : les mêmes populations insulaires qui regardaient autrefois vers le soleil levant se tournèrent ensuite vers le couchant, à mesure que l’ensemble de la civilisation se déplaçait suivant la marche apparente du soleil autour de la terre.

A l’étroit sur leur bande de terrain, les Phéniciens quittaient leur pays en grand nombre, accompagnant leurs pacotilles. L’émigration annuelle n’enlevait pas seulement les marchands aventureux et les pirates, elle entraînait aussi parfois des familles entières et des groupes de familles qui s’établissaient au loin en quelque endroit favorable où ils espéraient trouver vie libre ou bon accueil. Lorsque les émigrants

  1. Hérodote, IV. Melpomène, 42-43.