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l’homme et la terre. — phénicie

les terres jusqu’à la mer Egée et à Mycènes et par les Phéniciens le long des côtes dans toute l’Europe occidentale[1]. Certainement l’étain des Cassitérides eut plus de valeur dans les échanges et dans la civilisation du monde à cette époque de l’exploitation, lorsque les Phéniciens en étaient devenus les acheteurs et les distributeurs, que vingt siècles plus tard, quand l’Angleterre avait toute facilité pour en tirer profit.

L’étain, utilisé pour la fabrication du bronze, c’est-à-dire pour les belles armes, les statues, les vases, tout ce que le monde ancien avait de plus somptueux et de plus rare, possédait alors un tel prix aux yeux des trafiquants que le nom de l’archipel producteur — Kassiteros en grec, Kasazatirra en assyrien, gazdir en arabe, kesdir dans l’intérieur de l’Afrique, kastira dans l’Inde — s’était répandu par toute la terre d’entre-Pacifique et Atlantique et que, pour l’obtention du métal précieux, des voies de commerce s’ouvraient à travers toute la largeur des continents. Avant que les Phéniciens ne l’allassent chercher par mer, les Thraces le recevaient directement par le centre de l’Europe[2]. Par l’étain, la presqu’île gangétique devint, pendant la période romaine, tributaire des îles de la côte bretonne[3]. Cependant, à cette époque, le commerce s’était partiellement déplacé, les Carthaginois, successeurs des Phéniciens, ayant alors découvert en Espagne des gisements d’étain assez abondants pour alimenter les besoins de l’industrie mondiale[4].

Premiers parmi les navigateurs, les Phéniciens n’eurent pas une supériorité moindre comme industriels. Les plus fameux comme fabricants de tissus, ils possédaient le monopole de la teinture pour la couleur de pourpre ; il furent aussi les meilleurs et presque les seuls verriers ; leurs instruments de métal, leurs poteries étaient grandement appréciés dans tous les pays que visitaient leurs navires ; partout ils se procuraient les matières premières, aliments, bois, fibres, métaux, aux moyens d’objets manufacturés. Leur absolue supériorité commerciale et le contraste de leurs produits avec les denrées brutes de l’étranger leur permit de maintenir le mouvement des échanges à l’état de troc : n’ayant nul besoin d’employer un signe

  1. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations ; — Von Ihering, Les Indo-Européens avant l’Histoire, p. 259.
  2. Salomon Reinach, L’Anthropologie, p. 4, 1899.
  3. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations.
  4. W. Sieglin, Entdeckungsgesçhichte von England im Altertum.