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journal de la commune

Triste chose que la guerre civile ! Hier, une pauvre dame en deuil racontait dans un groupe sur la place de la Concorde qu’on lui avait ramené dans la matinée un de ses enfants, blessé par un éclat d’obus à Neuilly.

« Je me consolerais de ce malheur, disait la malheureuse mère, si mes deux fils combattaient dans les mêmes rangs et pour la même cause. Mais l’un fait partie du 100e bataillon de la garde nationale, et l’autre est sous-officier dans l’armée de Versailles ; quand j’entends un coup de canon d’un côté ou de l’autre, j’ai la mort dans l’âme » (Extrait de journal).

Jeudi 19.

Nous avons enfin des détails authentiques sur la mort de Gustave Flourens.

C’est bien à Rueil qu’il a été tué, près du pont de Chatou. Il s’était réfugié dans un groupe de petites maisons. Il entra chez un marchand de vin et se cacha dans le cellier. Bientôt des soldats entrent furieux, ils interrogent la marchande qui, tremblant pour sa vie, balbutie qu’elle ne sait pas, que dans la cave peut-être… On la fouille, cette cave, à la baïonnette. Une lame trouve de la résistance, elle est chaude, dégoutte de sang — le malheureux n’avait pas crié… Mais il était découvert. Les soldats le prennent par le collet et le ramènent au rez-de-chaussée. Là se tenait un capitaine de gendarmerie, M. Desmarets, il est bon de nommer le héros — qui attendait, sabre dégainé. Dès qu’apparut le prisonnier, M. le capitaine Desmarets lui asséna un coup qui lui fracassa la tête. Flourens tomba, un gendarme lui tira un coup de fusil à bout portant. Pris par les bras, le cadavre fut traîné jusqu’à un paillasson, et, pendant le trajet, la cervelle béante se répandait sur le sable. Il resta là la nuit, puis il fut transporté à Versailles comme un trophée.

— « Cette fois, nous en avons fini avec le fameux Flourens », dit un sergent de ville, pendant que la troupe hurlait de sauvages cris de joie. « On n’en parlera plus, nous venons de lui casser la gueule. »

Flourens avait déjà trente-deux ans. À sa conduite et à son caractère, on eût pu croire qu’il avait dix ans de moins. Il était fils du célèbre secrétaire perpétuel de l’académie des Sciences, intelligence lente et méthodique, dont il était la