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journal de la commune

des Versaillais en allumer quelques-uns, les plus considérables, celui du Ministère des Finances qui brûlait déjà depuis hier matin, le Ministère de la Guerre brûle aussi. Le parti de l’Ordre fait son entrée avec la bayonnette qui tue, l’obus qui fracasse et la bombe qui incendie. Contre les Prussiens, j’eusse eu peut-être la force de m’irriter, aujourd’hui de Français à Français, je regarde, je constate et me tais.

Quant à suivre les péripéties de la lutte, c’est impossible pour un spectateur ignorant de stratégie et, de plus, fort mal renseigné sur les positions des parties. Je distingue seulement que Montmartre est attaqué de trois côtés à la fois, et je ne crois pas qu’il soit longtemps tenable. Après Montmartre, les Buttes Chaumont, sur lesquelles nous nous tenons, puis Belleville, puis le Père Lachaise, et après, ce sera fini, et nous retomberons dans la nuit. Cela se devine, mais ne se voit pas. Meurtres et tueries se font dans l’ombre, et le hurlement des batteries ne se perçoit que semblable au japement des chiens dans les fermes lointaines.

C’est ainsi que je contemple d’un œil sec un des plus horribles spectacles que l’homme puisse voir, autant du moins qu’il peut discerner la scène d’action sur un théâtre si vaste. Sur un événement qui décidera sans doute pour quinze ou vingt autres années de la marche et de la direction des idées, l’Histoire portera un jugement terrible. En face de cette immensité, en face des énormes écroulements qui se préparent, on s’étonne qu’on puisse désirer être un des acteurs du grand drame social, et on sent combien est vaine, combien est ridiculement impuissante la volonté d’un individu, l’effort d’une conscience droite voulant intervenir dans ces gigantesques cataclysmes !

À la barricade, en haut de la rue Lafayette, j’ai été mis en arrestation par un groupe de braves gardes nationaux qui trouvaient, et avec raison, que mon laissez-passer est insuffisant. On m’avait vu porter des pavés à plusieurs barricades, on se demanda si peut-être une apparence de bonne volonté ne cachait pas de l’espionnage. — Je ne protestai nullement de mon affection pour la Commune, et d’un autre côté, je ne me fâchai point, me bornant à répondre simplement et poliment aux deux ou trois offi-