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journal de la commune

bien dans le paysage. Qu’ajoutent-ils à nos désastres ? Périssent les demeures puisque les hommes sont égorgés, périssent les richesses puisque les idées tombent, pour longtemps, puisque les principes mêmes sont en danger !

Et toujours les fracas, le vacarme, les sons assourdissants. D’intervalle en intervalle, ce qui reste de la maison est ébranlé par la simple commotion qui résulte des décharges d’une batterie voisine. On ne fait plus attention aux coups de canon, les mitrailleuses nous agacent avec leur bruit de soie qu’on déchire, et les obus qui passent au dessus de nos têtes, toupies ronflantes et bourdonnantes, nous font tressauter encore lorsqu’ils éclatent non loin de nous. Mais l’oreille éprouve quelque soulagement à certain sifflement de merle chanteur et au doux et mélodieux sussurement de quelque balle perfide allant au hasard frapper n’importe quoi, n’importe qui.

Les soldats se disent 200 000 faisant leur besogne contre 50 000.

C’est le quart d’un million d’hommes, fils de la même mère. De la ville, leur amour et leur orgueil, ils font une ruine fumante. Ils sont 200 000 esclaves contre 50 000 hommes libres ou qui voudraient être libres. Les uns tuent, arrêtent et démolissent pour le compte de leurs maîtres et seigneurs ; les autres se défendent, ils défendent leur foyer, ils défendent leur idée. Les 200 000 sont innocents à force d’être brutes et stupides ; les 50 000 sont héroïques, mais ils périssent et, avec eux, l’esprit de toute une génération.

Quoi qu’il en soit, ils s’entr’égorgent, ces frères. Et, dans cette atmosphère empoisonnée de poudre puant l’œuf pourri et la viande brûlée, ils s’abordent à coup de pistolet et se répondent par une lame de bayonnette dans le ventre.

Ô Fraternité douce et sainte que de crimes tu nous coûtes !

26 au soir.

L’oreille n’est plus assourdie par cette tempête de sons discordants : à l’ouragan succède une accalmie. Les obus sifflent, des balles sifflotent encore, quelques boîtes à mitraille jettent çà et là leur hideuse charge dans les airs, mais les sens se reposent et l’âme se pacifie.