Page:Reclus - La Peine de mort.djvu/6

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l’État, ce n’est plus le « miracle vivant » comme l’appelait Joseph de Maistre ; il est devenu la honte de la société et ne se laisse pas même connaître sous son nom. On a vu des hommes se faire sauter la main droite pour n’être pas forcés à servir de bourreau. En beaucoup de pays où la peine de mort existe encore, on ne décapite, on ne pend, on ne garrotte plus que dans l’intérieur des prisons. Enfin, dans plusieurs pays, la peine de mort est abolie ; depuis plus de cent ans le sang des décapités ne souille plus le sol de la Toscane, et la Suisse est une des nations qui ont eu l’honneur de brûler l’échafaud. Et maintenant elle aurait la honte de le rétablir ! Elle a vraiment bien peu de souci de sa gloire. Avant qu’elle adopte le rétablissement de la peine de mort, qu’on lui prouve au moins que les pays où il y a le moins de crimes sont ceux où la pénalité est le plus terrible !

Or, c’est précisément le contraire qui arrive : car le sang appelle le sang, c’est autour des échafauds et dans les prisons que se forment les meurtriers et les voleurs. Nos tribunaux sont des écoles de crime. Quels êtres plus vils que tous ceux dont la vindicte publique se sert pour la répression : mouchards et gardes-chiourme, bourreaux et policiers !


* * *


Ainsi la peine de mort est inutile. Mais est-elle juste ?

Non, elle n’est pas juste. Quand un individu se venge isolément, il peut considérer son adversaire comme responsable, mais la société, prise dans son ensemble, doit comprendre le lien de solidarité qui la rattache à tous ses membres, vertueux ou criminels, et reconnaître que dans chaque crime elle a aussi sa part. A-t-elle pris soin de l’enfance du criminel ? Lui a-t-elle donné une éducation complète ? Lui a-t-elle facilité les chemins de la vie ? Lui a-t-elle toujours donné de bons exemples ? A-t-elle veillé à ce qu’il ait bien toutes les chances de rester honnête ou de le redevenir après une première chute. Et si elle ne l’a pas fait, le criminel ne peut-il pas la taxer d’injustice ?

L’économiste Stuart Mill, ce probe savant qu’il est bon de donner en exemple à tous ses confrères, compare tous