Page:Reclus - Le Mariage tel qu’il fut et tel qu’il est.djvu/13

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reculées avaient aussi leur question sociale, qu’elles non plus ne savaient résoudre qu’en taillant et rognant dans les vies humaines, et surtout parmi les procréatrices de l’espèce.

Le meurtre des filles eut pour conséquence la polyandrie ou l’adjonction de plusieurs époux à une seule épouse, et la polyandrie à son tour appela l’infanticide, précédant nos économistes, nos libéraux et philanthropes, dans l’invention des procédés malthusiens pour équilibrer les populations et les subsistances.

Concurremment aux mariages exogamiques par rapt et par achat, se faisaient aussi des mariages on ne peut plus simplistes entre frères et sœurs — notons qu’en plusieurs contrées l’adelphogamie est toujours en honneur comme prérogative des hautes familles et maisons royales. Plus tard, on se plut à marier un lot de frères avec un lot de sœurs ; aucune distinction n’étant faite entre les enfants, tous cohéritiers d’un domaine qui restait la possession inaliénable d’une seule famille. Du système polyandrique est issu le lévirat, coutume que nous connaissons par l’histoire de Booz et de Ruth, et le sigisbéisme, dont l’existence légale — pas plus loin qu’en Italie — passait pour un paradoxe, parce qu’on en ignorait l’explication.

Ménagère de plusieurs maris, condamnée aux grossesses sans trêve, à la gestation perpétuelle, à peine interrompue par de fréquents infanticides, la femme aspirait à fuir son bagne conjugal, à esquiver les travaux forcés de la polyandrie. Sa force et sa puissance étant dans l’amour, c’est à l’amour qu’elle demanda son affranchissement. Au préféré parmi les maris, au plus jeune des frères, lui-même souvent rudoyé par les aînés, un jour elle confia le doux secret : « Cet enfant est à nous deux ! à moi, à toi, à nul autre ».

À partir de ce moment, l’institution matriarcale fut compromise et entra dans une décadence qui, de jour en jour, s’accéléra jusqu’à complète et entière abolition. Se jetant d’un extrême à l’autre, l’Humanité semble incapable de comprendre les faits les plus simples avant de les avoir niés avec fureur, puis de les avoir faussés en les exagérant à outrance. On dirait que nous devons épuiser la série des paradoxes avant de nous accommoder aux solutions que dictent l’évidence et le bon sens. Du moment qu’on eut découvert que l’enfant est fils de son père, on ne voulut plus qu’il fut aussi fils de sa mère. On décréta que désormais le père compterait pour tout, la mère pour rien. Mais pour faire adopter la doctrine nouvelle, il fallut bouleverser l’âme jusque dans ses profondeurs ; et si jamais