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XII

LE GRAIN DE BLÉ
Symbole de résurrection


En tous temps, d’innombrables multitudes auxquelles il coûtait de mourir ont soupiré après la renaissance. Les multiples métamorphoses du grain qu’on transforme en liqueur enivrante, ou qu’on voit renaître, ainsi qu’il semble, du sein même de la tombe, devaient apparaître à ces âmes altérées d’immortalité comme le symbole le plus frappant — quoi ! comme la preuve de la résurrection, comme sa meilleure promesse. Quand on le brasse, le grain entre en germination, puis en fermentation, après que le germe a été comme tué et foulé aux pieds. La substance étant dissoute et comme fluidifiée, l’ « esprit », les arômes se dégagent de la matière épaisse, glutineuse et féculante dans laquelle ils étaient enveloppés, et donnent naissance à la liqueur fraîche et enivrante, découverte par les industrieux Égyptiens, dont le secret a été surpris par les Phéniciens, transmis aux Grecs, Romains, Gaulois et Germains, à mainte tribu restée à demi-sauvage pour tout le reste. Les poésies populaires, parmi lesquelles la ballade écossaise de John Barleycorn est la mieux connue, célèbrent avec enthousiasme la passion, les vertus et la gloire de Grain d’Orge, autre Bacchus, mais plus humble, et comme lui né deux fois, comme lui mourant à demi brûlé, pour renaître superbe, transfiguré, non moins puissant que délicat et subtil, aimé d’Odin, comme l’autre de Jupiter, de Yahvé, des hommes et des génies.

Depuis que l’homme a été mis en possession de la précieuse céréale grande nourricière, il n’a cesse de contempler avec étonnement et vénération le prodigieux mystère de la mort et de la renaissance du blé. Les pontifes romains adressaient leur culte à Tellumo, force mâle du sol, Tellus, force femelle, Altor, le Nourricier, Russor, le dieu qui reprend, Rusina, la déesse