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LE PAIN

Osiris qui se donnait lui-même à manger, comme devait faire plus tard son imitateur juif qui institua la pâque chrétienne, était représenté par une petite statuette phallique emplie de grains, dont la nécropole de Thèbes a fourni de nombreux échantillons. On sait que la plupart des momies tenaient dans leurs mains des poignées de blé ; et même on affirme communément que ces grains, semés par manière d’expérience, auraient levé et fructifié et nous auraient rendu la belle espèce égyptienne, qui, depuis les temps antiques, aurait été perdue ou aurait dégénéré. Quoi qu’il en soit de cette assertion, contestée par des botanistes éminents, les grains de blé ne perdent pas avant un long temps leur faculté germinative. Les Pyramides tirent sans doute leur nom des blés qui y avaient été déposés en même temps que le corps des Pharaons ; cette appellation serait une périphrase euphémique. Les Thraces et les Hellènes désignaient semblablement les greniers et les lieux de sépulture et, au dire des Étrusques, la porte de l’Hadès ouvrait sur une montagne de froment. Dans les chapelles des cimetières catholiques, il est assez fréquent de voir asperger les bières d’eau bénite avec un goupillon fait d’épis tressés. Les paysans de la Bohème et de la Moravie affirmant que l’âme ne trouvera pas le repos avant que n’ait pourri la paille sur laquelle le défunt a rendu le dernier soupir, paille qu’il faut répandre sur un champ de blé. Les Ruthènes et Polonais de la Galicie jettent toujours des grains de blé sur le mort qui est étendu dans son cercueil. Aux Antilles, les Espagnols trouvèrent, empaquetés dans leurs pots ou corbeilles mortuaires, des Caraïbes avec des épis de maïs dans leurs mains momifiées. Les sépultures péruviennes, celles d’Ancon et du Gran Chimoù, ont montré des milliers de squelettes, enveloppés de leur bandages, ayant devant eux de petits sachets de maïs pour leur consommation personnelle, quelques-uns des grains rôtis que des personnes qui en ont fait l’expérience nous assurent être restes parfaitement mangeables, et d’autres à l’état de semence, comme promesse tangible du retour à l’existence. À la mort du père de famille, les Battas de Java sèment du riz et jusqu’au ce qu’il ait fructifié le corps est gardé à la maison. Puis le fils ouvre le cercueil, y jette la graine nouvelle, y fait tomber un rayon du soleil vivifiant ; après quoi il le referme et l’enfouit ; et, comme dernière précaution, complante la tombe de marmo u sets munis de phallus puissants.