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le pain

après sa mort les ira quêtant, errant et errant jusqu’à ce qu’il les ait toutes retrouvées, les distinguant à peine à travers le sang qui ruissellera de ses yeux. »

Suivant une autre version : « Le diable, colligeant les miettes dont tu fais fi, les dépose une à une dans une « cache » à lui. Une fois mort, ton cadavre sera pesé contre les miettes, et si elles sont plus lourdes tu iras en enfer, où les démons te les jetteront à la face, ces miettes chauffées à blanc, devenues dures comme l’acier, et tu n’auras d’autre nourriture. »

« Ton pain est immangeable ? Ne le jette pas pour cela ; il peut être utile à quantité d’usages que tu ne sais pas, et si tu ne peux autrement t’en servir, brûle-le au feu ou dans le four. » Nous aurons à revenir sur cette prescription.

La grand’mère n’a pas fini, elle a d’autres renseignements.

« Le pain ne profite pas quand on le pose sens dessus dessous », car ce n’est pas le tout de manger, il faut encore que la nourriture soit assimilée. « Quand j’aurai rompu le bâton du pain, menaçait le Dieu de Moïse, vous mangerez et ne serez point rassasiés. »

« Et le pain étant ainsi bestourné si on le laissait dans cette position toute la nuit ou plus longtemps, le diable aurait prise sur les gens de la maison, chaque minute d’oubli ajoutant à son pouvoir. »

« Mon petit Jean, rappelle-toi de ceci : Qui coupe le pain droit à la fortune ira tout droit. Et toi, ma petite Jeanne, n’oublie pas : Qui coupe le pain de travers, tout lui marchera de travers. »

Petit détail. Les manuels du bon ton et de la civilité puérile et honnête insistent sur un point qui longtemps me parut mystérieux : à table, il faut rompre le pain qu’on mange, il n’est rien de plus bourgeois que de le couper bouchée par bouchée. « Pourquoi cela ? demande-t-on à la comtesse de Raineville. — Parce que ! — Mais encore ? — Parce que cela ne se fait jamais dans la société des gens comme il faut ! »

Il est curieux de constater une fois de plus la concordance entre les articles du « code de déportement » chez le beau monde et les rustres. Mais les rustres ont un avantage, ils disent pourquoi.

« Le pain, expliquent-ils, est ami de l’homme et non pas du couteau ; il lui déplaît qu’on lui manque de respect par l’intervention sans nécessité d’un objet étranger. Ça l’agace quand on le cuit si on le touche avec de la ferraille, et la fournée