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le pain

voulait, mais sans paraître le savoir. On estimait que du pain ne peut être détourné que « pour le bon motif ». Et puis, fallait-il être sévère envers les pauvres, qu’on estimait alors être les représentants, en quelque sorte les fondés de pouvoir du Dieu qui donne du pain ? « Que Dieu nous préserve, dit une prière musulmane, de nous arrêter jamais devant la porte de l’avare, maison devant laquelle l’eau est mesurée et le pain compté avant qu’il soit cuit. »

Il est de coutume universelle qu’au jour des épousailles les amis fassent assaut de générosité afin d’assurer la fécondité de la nouvelle union. Les époux, à leur tour, tiennent à se montrer généreux, au moins envers les plus indigents de leurs concitoyens, afin que leur lit ne soit pas frappé de stérilité. C’est un échange de présents contre des cadeaux, gratifications contre gratifications ; mais les nouveaux mariés ne peuvent pas toujours tenir tête à la communauté ; il n’est pas rare qu’ils s’épuisent en libéralités, s’endettant de plusieurs années, et même se ruinant de fond en comble… Selon leurs moyens, ils font largesse d’or, d’argent ou de cuivre, offrant d’un large gâteau à quiconque vient les complimenter.

« Merci la belle épousée, et que Dieu vous le rende au centuple ! » Pendant les huit premiers jours, la jeune femme ne laissera pas sortir un visiteur sans l’avoir fait goûter au pain, et l’avoir instamment prié de manger son morceau jusqu’au bout.

Le laboureur qui prépare la semence fait pleine et large boisselée, afin qu’à la récolte les gerbes débordent des greniers. « Il ne faudrait pas, dit-il, commencer par se montrer ladre et pingre. » « Selon que vous mesurez, lit-on dans l’Évangile, vous serez mesurés. » En plusieurs cantons, une gerbe non battue est mise dans la cour tout en haut d’une perche, pour que les oiseaux la picorent. À la Noël, les paysans allemands ont accoutumé de jeter du grain sous les haies pour que moineaux, rouges-gorges et autres oisillons se réjouissent aussi en ce jour d’universelle allégresse.

On recommande au patron et à la patronne de ne pas s’asseoir sur la maie. La maie croirait à l’avarice des maîtres, et ne donnerait qu’un pain sans saveur et sans vertu.

Les invités sont priés de ne rien laisser du pain qui leur est présenté ; s’ils laissent des restes, ils s’en feraient mal aux dents, ou ils empêcheraient le beau temps de venir.