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LE PAIN

« Vous rencontrez deux pailles en croix sur votre chemin ? C’est une invitation à retourner sur vos pas. Vous passez outre. Gare qu’une autre croix se dresse bientôt sur une tombe que vous devinez. »

« Gare encore si une botte de paille tombe du grenier sans raison suffisante. » Pensez donc ! Les morts sont couchés sur la paille.

« Et gare si un brin de paille tombe sur le dos d’une poule qui l’emporte sans y faire attention. Et si la paille porte épi, bientôt on emportera un jeune homme au cimetière. »

« Un vol a été commis. Que le maître assemble la maisonnée, distribue à tous et à chacun des pailles de même longueur qu’il se fera rendre quinze ou vingt minutes après… Celle du voleur aura allongé. » Le procédé réussit au moins une fois, un jour que le voleur se trahit en mordant le bout de sa paille pour la faire paraître plus courte.

« Mon petit Jean, si le pain que te donne Bonne Maman se casse et s’ébrigaille dans tes mains, c’est que tu aurais oublié de faire ta prière. Ma petite Jeanne, si le couteau de maman qui te sert à goûter ne veut pas aller droit, c’est que tu as menti, pas n’est un long temps. »

Mais voici quelque chose de plus étonnant que tout le reste. Quelqu’un s’est noyé, il s’agit de retrouver son corps. Eh bien ! Cuisez un pain, sur sa croûte écrivez le nom de l’homme disparu, puis jetez la miche à l’eau, et suivez ses mouvements. Elle cherchera sa direction, flottera ici et là, en apparence au gré du vent et des courants, et finira par s’arrêter sur le cadavre.

L’ordalie par le soc de la charrue portait le nom technique de judicium ferri ou d’examen pedale. Des socs au nombre de six, neuf ou douze étaient rangés sur le sol à intervalles égaux, on les avait chauffés à rouge, et l’accusé prouvait son innocence s’il pouvait marcher, sans être blessé, sur le fer incandescent. Cette épreuve était imposée aux laboureurs, aux paysans et, en général, au menu peuple. Quant aux nobles, ils avaient l’avantage le plus souvent d’en appeler au jugement de Dieu par l’épée et de s’administrer des coups d’estoc et de taille en fait de preuves et d’arguments.

M. Lea, qui a beaucoup étudié ce sujet dans son laborieux