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le pain

prévenant les accidents, maladies et incendies, se rendant utiles de mille et mille manières. Elles avaient moins de besoins qu’une souris blanche, mais encore leur fallait-il se sustenter, et elles grignotaient d’un pain par ci, d’une gaufre ou galette par là, puis voyaient à la pâte qui levait, la faisaient réussir au four, donnaient aux miches d’être savoureuses et nourrissantes. Nos grand’mères ne pouvaient récompenser autrement ces aimables créatures qui ne voulaient pas qu’on les remerciât, ni même qu’on parut s’apercevoir de leur présence, et se gardaient bien de compter ou de peser les grains mis à cuire. « Mais depuis que les gens sont devenus si regardants, les bonnes petites spirites sont parties, elles sont allées Dieu sait où. Plus nous ne les verrons, et c’est grand dommage ; car avec elles ont disparu la bonté du sol et la graisse des sillons ; depuis, c’est à force de bras, d’argent et de fumier qu’il faut extorquer ses fruits à la terre, qui ne rapporte plus qu’à regret. Les hommes n’étant plus généreux, les champs ne sont plus fertiles, il n’y a plus qu’une loi « donnant donnant », et les temps sont bien difficiles pour les pauvres gens, mon cher Monsieur ! »

Et n’oublions pas tout à fait les filles du vent et de la forêt, pour lesquelles les bons bûcherons oubliaient de propos délibéré quelque croûte sur un billot de bois, laissaient tomber des miettes sur un tronc coupé : « La fadette les ramassera », pensaient-ils.

Du moment que le feu lève des contributions, pourquoi les génies de l’air ne feraient-ils pas aussi valoir leurs droits ?

Les contes norvégiens racontent que le vent du nord n’éprouve aucun scrupule à prélever au-delà du tribut qui lui est dû et qui n’a pas été acquitté en temps utile. La coutume de lui servir quelques poignées de farine s’est perpétuée jusqu’à nos jours, depuis les temps reculés du paganisme slave. Quand la tempête se fait menaçante, on va jusqu’à lui sacrifier tout un sac.

Cette pactisation avec les puissances infernales est réprouvée par des Chrétiens plus sévères. Au vent qui souffle, ils n’envoient d’autre hommage que celui des couteaux, haches ou