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LE PAIN

Satan, le peuple n’adorait que le peuple. C’était là le vrai sacrifice ».

On disait dans le peuple — qui le croyait souvent — qu’une sorcière était réellement immolée chaque sabbat et dévorée par l’assistance. Le dernier acte était le suicide de l’hôte, le Maître Bouc, qui, à l’imitation du Phénix, devait se consumer pour renaître du plus petit de ses atomes, et dont la cendre était distribuée aux assistants, qui la gardaient précieusement, soit pour la consommer, mélangée à leur pain ou à leur boisson, soit pour l’employer dans leurs charmes. Tous ceux qui avaient participé à la communion nocturne de la lande ou de la forêt devaient se considérer comme complices, mieux que cela, comme frères et sœurs, mères et fils, amants et amantes, citoyens et citoyennes de la Cité infernale, tout autrement vaste et mouvementée que la Cité de Dieu.

Terrible, bouffonne et désespérée, la parodie du sabbat prouve, par contraste, combien puissant était l’empire que le dogme eucharistique exerçait sur les âmes — dogme dont le christianisme a formulé la théorie avec une précision qui ne laisse rien à désirer. Mais comme on le disait plus haut, il n’a pas été seul à l’admettre. Nous sommes même portés à croire que toutes les religions proprement dites, et, par ce terme, nous entendons celles qui possèdent un ensemble tant soit peu systématique d’opinions sur l’origine des choses et la fin de l’homme, que toutes les religions ont sur le fait fondamental de la nutrition et de la réfection des doctrines très analogues à celles de nos catéchismes. Sans doute, on les croyait très différentes, chacune a proclamé que toutes les autres sont monstrueuses erreurs et coupables hérésies. Mais en face de la chimie et de la physiologie, elles se trouvent faire contre la science moderne cause commune et ne diffèrent les unes des autres que par des détails et de simples nuances, que par les traits qui distinguent les membres d’une même famille. Écoutez la sagesse des Indous : « Qui connaît la nourriture immortelle et la prend comme il convient boit l’immortalité, et habitera parmi les dieux. » Cette parole du Yagour Veda est, au fond, identique avec celle-ci : « Travaillez, non point après la viande qui périt, mais après celle qui est permanente jusque dans la vie éternelle et que le Fils de l’Homme vous donnera. »

En définitive, la participation au pain sacré de l’Eucharistie n’est autre que la mise en œuvre du grand dogme panthéiste :