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le pain

Le pain d’éternelle vie, figuration de l’Éternel, est, pour les privilégiés qui en mangent, un réservoir d’énergies propices, une source toujours jaillissante de vigueur et de santé. Panacée dans laquelle on a longtemps cherché le secret de la pierre philosophale et de l’élixir de longue vie, l’hostie, nourriture perpétuelle, est la condition préalable de l’immortalité, qui est la vie à son maximum de puissance. Sur ce point comme sur tant d’autres, le Dieu chrétien a suivi les traditions des Dieux de l’Olympe, qui, jaloux de leur éternelle durée, n’ont pas voulu que les hommes y participassent avant d’avoir goûté la mort.

Ceci nous rappelle par contraste ou par analogie qu’à Péking les exécuteurs des hautes œuvres se font un bénéfice à vendre les boulettes de pain qu’ils ont trempées dans le sang des criminels. Ces criminels, ils les garantissent avoir été vigoureux, en pleine jouissance de leurs facultés physiques et intellectuelles jusqu’au moment de la décapitation. Les « pains de sang », comme on les appelle, passent pour être imprégnés d’une vitalité de premier ordre et pour être un remède souverain dans les cas de phtisie et de dépérissement. Les femmes enceintes s’en montrent particulièrement friandes.

Dès le quatrième siècle, et même auparavant, on peut constater que le Saint-Sacrement s’était déjà substitue à Esculape. Ce qui purifiait l’âme, pensait-on, ne pouvait manquer de purifier le sang et toutes les humeurs peccantes de l’organisme, théorie qui fait toujours article de foi dans les bourgades de la Grèce, où l’on entend dire : « L’enfant était malade parce que les Elfes lui avaient jeté des pierres ; on lui fit donc prendre la sainte Communion trois dimanches de suite… »

Grèce par ci, France ou Russie par là, nos campagnards tiennent toujours les oublies consacrées, et principalement celles qui viennent d’un lieu de pèlerinage, pour le plus puissant et le moins coûteux des remèdes. Plus d’un ne croirait pas rester en santé si, deux fois l’an, il ne se purgeait et ne se confessait avant que de communier. En cette manière comme en toutes les autres, les opinions varient. Tantôt on ne croit pas pouvoir prendre Dieu trop souvent, tantôt on recule la cérémonie le plus tard possible ; ici on est persuadé que le viatique prolonge la vie, là on sait qu’il hâte la mort. La contradiction n’est qu’apparente, nous ne tarderons pas à l’expliquer.

Pour que l’hostie agisse plus efficacement, on recommande, ou plutôt l’on enjoint de la prendre à jeun. Elle peut être