sieurs villages évoquaient l’affaire, et les notables exécutaient la sentence. Sauf rarissimes exceptions, le jury permanent n’intervient que pour ajuster les différends, expliquer les malentendus. Les discussions sont promptement écartées, la communauté sent parfaitement que dans sa lutte incessante contre une nature hostile, elle ne peut exister que par le bon vouloir de tous pour chacun.
Les affaires pourtant ne s’arrangent pas toujours d’elles-mêmes, les griefs peuvent être profonds. De peur que les dépits rentrés n’aigrissent le caractère, on convient de les produire en public, de les mettre hors. L’offensé fait savoir qu’en tel jour il servira un plat de sa façon à certain camarade : il y aura lutte poétique entre les adversaires ; Bertrand de Born prépare son sirvente et Bertrand de Ventadour sa canzone : ils chanteront leur pièce satyrique, la déclameront, la mimeront, la danseront, assistés par des seconds dûment préparés, qui, au besoin, les remplaceraient ; ils accompagnent les refrains, font résonner le tambour aux bons endroits. L’assemblée écoute avec attention, donne raison en applaudissant, donne tort en grognant, intimement persuadée que le bon droit et le mérite artistique vont de pair ; convaincue que la bonne conscience donne une passion, une énergie et une hauteur d’accent à laquelle la mauvaise foi ne saurait s’élever. À y regarder de près, c’est d’une ordalie qu’il s’agit, autrement humaine et raisonnable que ces « jugements de Dieu » par le fer rougi, le plomb fondu, les noyades, les ingurgitations de poison ou de saintes hosties. Semblable coutume n’est point inconnue dans le haut pays bavarois, où mainte fête du saint patron est égayée par deux coqs de village qui se provoquent à un gsangl. Les Sakalaves de Madagascar ont aussi leur zibé.