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la grand’fête.

gieux. Couchés ou accroupis, ils attendent en un profond silence l’apparition de la reine des nuits. Dès qu’elle se montre à l’horizon, ils geignent en chœur, imitent les cris du coyote flairant une charogne, et les bandes de ces animaux ne tardent pas à leur répondre dans le lointain[1]. Cette parfaite imitation est la récompense d’une longue pratique. Plusieurs de leurs dialectes n’ont qu’un seul et même mot pour désigner le chant de l’homme et le glapissement du chien des prairies ; des voyageurs ont même trouvé de l’analogie entre les langues de l’un et le cri de l’autre[2]. Peu à peu les voix enflent, éclatent en jappements ; on dirait une meute en chasse, ou aboyant à la lune, ce qui est bien le cas. Le concert continue par les rauquements du loup-hyène et de l’ours, les bramements du cerf, les cris de tous les frères et cousins du monde animal, les hennissements du cheval et du mulet, même les braiements de l’âne, et tous alors de rire, ou plutôt de ricaner, car le rire implique une mentalité peut-être supérieure à celle qu’ont atteinte ces sauvages dégradés par la misère. D’ailleurs, les Peaux-Rouges ne se montrent guère portés à la gaieté ; ceux de l’Amérique du nord passent pour mélancoliques, et ceux de l’Amérique du sud pour tristes :

« L’Indien est toujours triste. Triste à l’église, triste en sellant son cheval, triste en s’accroupissant sur le seuil de la salle, triste en buvant, triste en dansant, triste en courtisant sa belle ; même sa chanson d’amour n’est qu’un gémissement[3]. »

  1. Tiswin, Murphy, Indian affairs, 1857.
  2. Oscar Lœw, Zeitschrift für Ethnologie, 1877.
  3. Wiener, Pérou.