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paysage boréal.

châteaux de cristal qui s’élèvent et s’effondrent, avec d’horribles craquements ; un brouillard épais, qui tantôt descend comme un suaire et tantôt s’évanouit en montrant aux yeux épouvantés de fantastiques abîmes.

« Pendant ce jour unique, le soleil fait resplendir la glace d’un éclat aveuglant. Sous ses tièdes rayons, elle se fend et se divise ; les montagnes s’émiettent en débris, les plaines craquent et se séparant en tronçons qui se heurtent avec des bruits sinistres et des détonations inattendues.

« La nuit, une nuit éternelle, succède à ce jour énervant. Au milieu des ténèbres on distingue des fantômes immenses, qui se meuvent lentement. Dans cet isolement profond que toute obscurité porte avec elle, l’énergie du voyageur, sa raison même, ont à subir d’étranges assauts. Le soleil est encore la vie. Mais la nuit, ces mornes déserts apparaissent comme des espaces chaotiques : aux pieds des précipices qu’on ne peut mesurer, des escarpements se dressent tout autour ; les longs hurlements de la glace remplissent d’épouvante.

« Apparaît la fantasmagorie sanglante de l’aurore boréale : le ciel noir s’éclaire d’une immense lueur. Un arc plus vif s’arrondit sur un fond de flamme ; des rayons jaillissent, mille gerbes s’élancent. C’est une lutte de dards bleus, rouges, verts, violets, étincelants, qui s’élèvent, s’abaissent, luttent de vitesse, éclatent, se confondent, puis pâlissent. Dernière féerie, un dais splendide, la « couronne », s’épanouit au sommet de toutes ces magnificences. Puis les rayons blanchissent, les teintes se dégradent, s’évaporent, s’évanouissent. »

« La lumière arctique, Protée aérien, revêt mille formes, se déploie en combinaisons merveilleuses : brillante couronne terrestre ou aigrettes innombrables, semblables aux feux Saint-Elme se jouant à la cime des mâts, zones d’or capricieusement ondulées, serpents livides aux reflets métalliques qui glissent silencieusement dans les profondeurs des espaces ; arcs-en-ciel concentriques ; coupoles splendides et diaphanes qui illuminent le ciel ou tamisent la lumière sidérale ; nuées sanglantes et lugubres, bandes polaires longues et blanches qui s’étendent d’un