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pauvreté salutaire.

Les conquérants font de droit l’histoire de leur conquête, et pour mieux se couvrir de gloire, aspergent les vaincus d’ignominie. À quoi n’ont pas manqué les Aryas dans leurs légendes et traditions. De ces récits, lus avec critique, il ressort que les envahisseurs trouvèrent une résistance longue et opiniâtre. Sans doute, les indigènes se défendirent avec courage, leurs revers alternérent avec des succès et ils ne furent entièrement subjugués que sur le littoral et dans le bassin du Gange ; sur les premières collines, ils furent vassalisés, dans le haut pays, pas même entamés. N’ayant pu les vaincre ni les asservir sur toute la ligne, le conquérant se vengea en les appelant singes, nagas, serpents, géogènes, en les confondant, de propos délibéré, avec les léopards et autres animaux, patrons de totems. L’immigration inonda la grande plaine, où elle implanta la race et la langue des Aryas, leurs doctrines et pratiques, mais ne remonta pas très avant dans les vallées. Le flot ne dépassa guère les premiers contreforts ; le bruit des batailles ne pénétra pas jusqu’aux hauts pâturages. Le choc des armes, les rumeurs des révolutions, le fracas d’empires s’effondrant, ne réveillaient pas les échos de la combe profonde ; le tigre des jungles, le crocodile des marais, les démons de la peste et de la fièvre défendaient la négraille. Une abjecte misère protégeait ces créatures, qui ne possédèrent jamais rien qu’il valut la peine de piller. Et la situation se perpétua. On aurait cru que les indigènes n’ayant pas d’organisation politique proprement dite, n’étant groupés qu’en hameaux et villages de faible population, organismes lâches et sans cohésion, succomberaient à leurs dissensions intestines, aux moindres attaques de l’extérieur. Cependant ils ont survécu aux États qui les