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avortements.

ses besoins dans l’autre monde, où, dit-on, la nourriture est moins parcimonieusement mesurée que dans le nôtre.

Loin d’être le fait de parents dénaturés, l’infanticide passait donc pour un droit et même pour une nécessité à laquelle il eût été criminel de se soustraire. À plus forte raison, l’avortement n’était qu’un accident vulgaire. Parmi nombre de sauvages, il va de soi que la fille, tant qu’elle n’est pas mariée, n’a pas la permission d’avoir un enfant, à la subsistance duquel elle ne pourrait pourvoir. Si elle accouche tout de même, il faudra que les ayants droit expédient sa progéniture ; mais, si elle simplifie la besogne, en se débarrassant du fruit avant maturité, tant mieux !

Pour en revenir à nos Esquimaudes, celles qui prévoient qu’elles ne pourront élever l’enfant recourent à l’avortement : avec un objet pesant ou un manche de fouet, elles se frappent et compriment, mais sans parvenir toujours à leurs fins, car elles paraissent faites, disent les obstétriciens, pour concevoir facilement et mener le fœtus à bien. Plusieurs se livrent sur elles-mêmes à une opération de haute chirurgie, au moyen d’une côte de phoque bien affilée ; elles enveloppent le tranchant avec un cuir qu’elles écartent ou remettent en place au moyen d’un fil. On ne dit pas combien en meurent ou restent estropiées.

Le malthusisme, dernier mot de l’économie officielle, — dernier mot aussi des pays qui s’en vont, — est pratiqué largement par ces primitifs qui ne permettent à une femme que deux à trois enfants vivants, et tuent ensuite ce qui, fille ou garçon, commet le crime de naître. Faisant elle-même l’office de bourreau, la mère étrangle le nouveau-né ou l’expose dans une des anfractuosités qui abondent entre la glace fixe de la côte et la glace flottante du large, triste berceau ! À marée montante, le flot saisit