Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
67
la société et l’individu.

À la grande question qui, en ethnologie, se pose aux détours de route : « L’individu est-il antérieur à la société, ou la société est-elle antérieure à l’individu ? » la réponse semblait naguère des plus faciles, et l’on répétait couramment la leçon officielle : le premier individu se dédoubla en mâle et femelle, et du premier couple, créé superbe et vigoureux, intelligent et beau, naquit la première famille, laquelle s’élargit en tribu, puis en peuples et nations. La doctrine s’imposait par son apparente simplicité, semblait inspirée par le bon sens. Mais la géologie et la paléontologie aidant, on s’aperçut qu’il fallait reléguer parmi les contes de fées la théorie d’un homme surgissant au milieu du monde, à la manière d’un Robinson abordant son île déserte. En dehors de ses semblables, l’homme est homme, autant qu’une fourmi est fourmi indépendamment de sa fourmilière, autant qu’une abeille reste abeille quand elle n’a plus de ruche. Ce qui advient de l’homme isolé, on le voit dans les prisons cellulaires inventées par nos philanthropes. Donc, jusqu’à preuve du contraire, nous supposerons que nos ancêtres débutèrent par la vie collective, qu’ils dépendaient de leur milieu autant et plus que nous. Contrairement à l’idée que l’individu est père de la société, nous supposons que la société a été mère de l’individu. La demeure commune nous paraît avoir été le support matériel de la vie collective et le grand moyen des premières civilisations. Commune était l’habitation, et communes les femmes avec leurs enfants ; les hommes chassaient même proie et la dévoraient ensemble à l’instar des loups ; tous sentaient, pensaient et agissaient de concert. Tout nous porte à croire qu’à l’origine le collectivisme était à son maximum et l’individualisme au minimum.