Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/157

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aussi par l’origine de ses premières études, n’en est pas moins celui qui assure aux gens du monde fermé tout le talent voulu pour peindre la robe, le chapeau, le gant, l’éventail, le tapis ou des fleurs rares. Il s’appuie sans nul doute sur l’exemple des maîtres hollandais qui, eux aussi, peignent les costumes de leurs contemporains, oubliant que dans les Pays-Bas d’autrefois la vie, les circonstances politiques, les mœurs du peuple de cette république assuraient d’avance, à tout modèle qui posait, la sincérité et le naturel des allures instinctives.

Les costumes que peignit Rembrandt, d’après les riches comme d’après les pauvres, furent des enveloppes vivantes et expressives dont pas un pli ne masque le fond même de l’homme qui les porte : cottes, feutres, colliers, pourpoints, furent toujours des hardes vécues. Peut-on le dire des portraits contemporains ? Non. Et cependant, dans ces campagnes vernies que dessina Millet, des êtres humains et grotesques dressent leur silhouette épique et pittoresque avec une rigidité de ligne et de plastique qui ne saurait trop nous enseigner. (Leurs costumes ne se démoderont pas.)

Fantin-Latour n’en est pas moins un clairvoyant disciple de Delacroix, quand celui-ci est rationnel, sensualiste. Sa palette qui est la vraie, l’unique palette, est un parfait clavier qui donne tous les degrés des couleurs prises en soi, admirable pour peindre l’éclat des fleurs, les brillantes étoffes, incomplète sans doute quand il faudra lui demander ce gris fondamental qui différencie les maîtres, les exprime, et qui est l’âme de toute couleur.

De laborieuses et soucieuses recherches ont conduit cet artiste à des essais d’interprétation de la musique par la peinture, oubliant encore que nulle couleur ne peut traduire le monde musical qui est uniquement et seulement interne et sans nul appui dans la nature réelle. N’ayant point réussi, sans nul doute, il prend revanche en épanchant sa gourme par la lithographie en de blondes et molles esquisses sur les poèmes du musicien Wagner. Mais qu’il puise dans les libretti de Brahms, de Schumann, de Berlioz, c’est