Page:Redon - À soi-même, 1922.djvu/61

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tout ce qu’il voit, tout ce qui est, le fait souffrir — hors ce qu’il aime.

Si j’avais un fils à diriger, je lui dirais : « Pars, va seul au milieu des hommes, puisque tu dois le devenir. Il n’y a de personnel essor que dans la liberté. »



1876, Mai. — Sans être et vouloir être d’aucune secte et d’aucune école, en matière d’art surtout, il y a une loyauté d’esprit qui doit applaudir au beau partout où il se trouve, et qui impose à celui qui le comprend le désir de la communiquer, de l’expliquer.

Je ne suis pas un intransigeant ; je n’acclamerai jamais une école qui, quoique préconisée de sa bonne foi, se borne quand même dans la réalité pure, sans tenir compte du passé. Voir et bien voir sera toujours le précepte premier de l’art de peindre, cela est une vérité de tous les temps. Mais il importe aussi de connaître la nature de l’œil qui regarde, de rechercher la cause des sentiments éprouvés par l’artiste et communiqués au dilettante — voire même s’ils en ont — de chercher en un mot si le don qu’il a fait est bien de bonne nature, de bonne trame ; et ce n’est que ce travail d’analyse et de critique achevé, qu’il importe de mettre l’œuvre faite à sa place, dans le temple que nous élevons en esprit à la beauté.

Dans la foule, on emporte avec soi l’obstination de sa destinée.



Le bon sens est l’aptitude à bien juger, même sans aucune culture, et dans un ordre de vérité un peu terre à terre. Cette aptitude sert souverainement les hommes qui n’ont affaire qu’aux réalités de la vie la plus immédiate, la plus prochaine. Il