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Page:Regelsperger, L'Affaire Gaud-Toqué, Revue Universelle, 1905.djvu/2

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régionaux qui fusillent le condamné, puis l’enterrent. Gaud serait resté simple spectateur de cette scène.

Gaud était accusé aussi, avec complicité de la part de Toqué, de violences et de voies de fait, n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail, sur la personne d’indigènes enfermés dans un silo à riz, pour des motifs futiles. Les deux fonctionnaires déclarent qu’ils avaient enfermé ainsi des prisonniers parce qu’on réparait la barre de justice, mais qu’ils ne les avaient laissé manquer de rien.

Enfin Gaud était accusé d’homicide volontaire avec préméditation sur la personne du nommé Pakpa, en le faisant sauter avec une cartouche de dynamite. Toqué était accusé de complicité pour avoir donné l’ordre d’exécution.


Fernand-Léopold GAUD, né en 1874,
commis des affaires indigènes.


Georges-Émile-Eugène TOQUÉ,
né en 1879, administrateur colonial.

Gaud s’explique sur ce crime avec un calme stupéfiant. Le 8 mai 1903, il reçoit une lettre de Toqué lui ordonnant, dit-il, de rechercher et de fusiller Pakpa, qui, pris par lui comme guide, l’avait conduit dans un guet-apens ; on l’arrête le 12 juillet. Le 14, Gaud demande à Toqué ce qu’il doit faire de Pakpa et de deux autres prisonniers ; l’administrateur lui dit de libérer ces deux derniers et, quant à Pakpa, il hésite et, fatigué, il ajoute : « Faites-en ce que vous voudrez. » D’après Gaud, cela signifiait qu’il n’y avait qu’à l’exécuter. C’est alors qu’apercevant dans sa case un paquet de cartouches de dynamite servant à la pêche du poisson, il lui vient à l’idée d’en attacher une au cou de Pakpa ; on l’allume et l’homme saute. Gaud va rendre compte de ce qu’il a fait à Toqué, qui, sans blâmer le fait de l’exécution, réprouve le procédé employé.

Toqué, s’expliquant à son tour, se défend vivement de complicité. Dans sa pensée, les mots : « Faites-en ce que vous voudrez, » ne signifiaient pas d’en finir avec Pakpa, mais voulaient dire : « Libérez-le ou ne le libérez pas, à votre choix. »

L’affaire a occupé six audiences. Le réquisitoire a été prononcé par M. Cougoul, procureur de la République, chef du service judiciaire de la colonie, faisant fonctions de procureur général.

Le magistrat fait un tableau saisissant de la situation vraiment épouvantable du Haut-Chari en 1903, où les porteurs sont recrutés par la violence. Puis, examinant les faits reprochés à Toqué et à Gaud, il abandonne quelques-uns d’entre eux faute de preuves. Il insiste particulièrement sur l’internement des prisonniers dans le silo, devenu un cloaque immonde. Il passe ensuite aux faits qualifiés crimes : exécution sommaire et illégale de Pikamandji et de Djéoùendji ; enfin il arrive à l’affaire Pakpa. Il ne lui paraît pas que cet indigène ait trahi Toqué. Celui-ci a agi avec trop de précipitation en ordonnant à Gaud de fusiller Pakpa. Quant à l’exécution à la dynamite, dont le procureur montre toute la cruauté, elle est l’œuvre de Gaud. Le crime le plus grave est le meurtre de Ndagara, et il s’attache à démontrer la culpabilité de Toqué. Enfin, en ce qui touche Moussakandji, le procureur rappelle que les gardes régionaux ont été unanimes à déclarer qu’il a été tué à coups de baïonnette.

La défense des deux accusés a été présentée par M. Barreau, administrateur de Brazzaville. Il voit dans cette affaire une campagne dirigée contre le Congo français par de misérables calomniateurs ; il relève les contradictions des dépositions et en tire argument ; il récuse certains témoignages, haineux et mensongers. Prenant un à un les faits retenus par l’accusation, il s’efforce de les justifier. Il présente les diverses exécutions comme légitimes, il dépeint l’emploi de la dynamite comme moins barbare que les procédés en usage dans les pays civilisés, il discute les accusations de violences portées contre les accusés, il décrit leur pénible situation et les difficultés contre lesquelles ils eurent à lutter.

La cour criminelle a rendu son arrêt, après une très longue délibération, le 26 août.

La cour déclare Toqué et Gaud non coupables dans l’affaire Djéoùendji et dans l’affaire du silo, Toqué non coupable dans les allaires Pikamandji