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XIX
PRÉFACE.

idéalisé dans la mesure que nécessite l’art pour que ses créations nous touchent ou nous intéressent vivement, mais celui-là, comme ceux-ci, a le pied dans l’humanité et ne cesse jamais d’être vraisemblable et vivant malgré l’éclat exceptionnel de sa générosité.

Les types féminins de la Mricchakatikâ se distinguent par des traits moraux qui les éloignent davantage encore des héroïnes classiques. Vasantasenâ, Madanikâ, l’épouse de Chârudatta sont douées d’une sensibilité toute moderne. Leur condition sociale les assimile parfaitement aux femmes de l’antiquité : la dernière rappelle invinciblement la femme grecque confinée dans le gynécée et se mêlant à peine à la vie extérieure, tandis que Vasantasenâ est une hétaïre ayant le train brillant, la clientèle élégante et le décorum sui generis de Lais ou de Phryné. Mais là se borne l’analogie ; le cœur des femmes de notre drame a des tendresses et des délicatesses inconnues aux héroïnes de Sophocle et même à celles d’Euripide et de Racine. C’est encore à Shakspeare qu’il faut s’adresser pour retrouver leurs pareilles. Vasantasenâ surtout est de la famille des Desdémone, des Ophélia et des Juliette ; elle a une façon d’aimer qui n’est celle ni d’Antigone, ni d’Iphigénie, ni de Didon, ni de Chimène, ni