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ne lui rendit justice qu’à la fin de sa vie. Car Darwin ne croyait qu’en la sélection et étayait ses raisonnements d’une extraordinaire abondance de faits. Donc, d’une part, il n’admettait point la théorie de Lamarck, de l’autre, il méprisait sa pauvreté en faits à l’appui de sa thèse.

Ni Darwin, ni son école, ne pouvaient admettre chez Lamarck le dédain des petits faits et sa manière de résoudre les problèmes sans les creuser. Ils trouvaient ses exemples trop peu nombreux, trop généraux, trop brefs ; quelques-uns même leur semblaient mal choisis, et un tantinet ridicules. Ils oubliaient cette règle très générale de l’esprit humain qui commence par établir des lois simples, et en reconnaît ensuite la complexité.

On reprochait enfin à Lamarck un style lourd et imprécis. Reproche injuste, car il reste toujours clair bien qu’exprimant des idées toutes neuves. Lamarck, n’osant créer des néologismes, y suppléa heureusement par des périphrases.

Par un retour imprévu, on reconnaît aujourd’hui que les observations de Darwin, vraies en elles-mêmes, étaient mal analysées, et leur importance relative mal appréciée. Darwin se contentait souvent d’à peu près, sans grand esprit critique. Il ne pesait pas les faits, ne cherchait pas à mettre en évidence ceux péremptoires. Au contraire, les faits cités par Lamarck étaient topiques, et chacun a donné naissance à d’innombrables travaux qui, d’ailleurs, n’ont pas abouti à des conclusions plus décisives.

Les critiques ont enfin objecté que Lamarck avait eu des précurseurs, comme de Maillet, puis Érasme, Darwin, et des émules contemporains comme Cabanis. Mais ces auteurs ont énoncé d’une façon vague l’idée d’évolution, que Lamarck, le premier, a systématisée.

Quant à l’influence du milieu, et en particulier du climat, sur la forme des êtres, elle avait été reconnue dès longtemps, notamment par Linné. Mais on la croyait fugace et ne donnant que des variations. Lamarck les déclara héréditaires. Or, ceci n’est pas encore démontré. Mais cette hypothèse était heuristique : elle favorisait la recherche, tandis que celle des fixistes restait stérile. En effet, si les espèces sont fixes, inutile d’en chercher la genèse ; si, au contraire, le milieu agit sur elles, un immense champ d’exploration est ouvert. Ce n’est qu’à partir de 1866 qu’on rendit justice aux théories de Lamarck ; en Amérique, Hyatt et Cope fondèrent l’école néo-lamarckienne.

En France, ce n’est que très tard que des naturalistes comme Giard s’y rangèrent. Ces dernières années, les néo-darwiniens (weissmaniens, mendeliens, génétistes), semblaient avoir fait triompher le dogme de la fixité des espèces. Les récents travaux de morphogenèse, montrant l’influence des sécrétions internes, donnent un regain de faveur aux néo-lamarckiens.

Un naturaliste contemporain, Yves Delage (1854-1920), subit la même