Page:Reid, À fond de cale, 1868.djvu/176

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de ces périls qui, en dépit de leur gravité, n’ont point de dénoûment tragique ; on ne sait jamais si l’on n’en reviendra pas. Mais quand on a eu la certitude qu’il n’y avait plus qu’à mourir, et que par impossible on est sauvé, la réaction qui s’opère en nous est inexprimable. On a vu des hommes en perdre la tête, ou bien être foudroyés par la joie.

Je n’en perdis ni la vie ni la raison ; mais quiconque m’aurait vu après l’ouverture de la caisse, aurait pu supposer que j’étais fou.

Je ne sais pas combien de temps auraient duré mes transports sans un fait qui les calma tout à coup en me forçant à réfléchir : l’eau s’échappait de la futaille. Le bruit des vagues m’avait empêché de l’entendre à mesure qu’elle tombait ; elle glissait entre les planches, et sans doute elle coulait depuis la dernière fois que j’avais bu, car je ne me rappelais pas avoir remis le tampon. Il était possible que je l’eusse oublié dans mon ivresse, et la perte devait être considérable.

Une heure avant je m’en serais moins inquiété ; j’aurais toujours eu plus d’eau qu’il m’en fallait pour le peu que j’avais à vivre ; mais à présent c’était une chose bien différente. Je pouvais rester plusieurs mois enfermé près de cette futaille ; chacune de ses gouttes d’eau m’était indispensable. Que deviendrais-je si elle tarissait avant qu’on fût au port ? Je retomberais dans l’affreuse position d’où je m’étais