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Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/33

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CHAPITRE IV
AU FORT LOOKOUT

« Je vous dis, mon cher, que l’esprit militaire s’en va !… Il y a beau temps qu’il s’en va au grand galop ! Je ne donne pas dix ans à l’Union pour n’avoir plus d’armée, — j’entends d’armée digne de ce nom ! »

Cette opinion pessimiste tombait des lèvres désenchantées d’un vieil officier gros et gras qui portait, sur des épaules extraordinairement larges, une face aussi rouge qu’une tranche de rosbif, ornée d’une moustache grise taillée en brosse.

Impossible de douter, en le voyant, que le capitaine Adolphus Striker, capitaine à brevet de l’armée fédérale, ne comptât presque autant de campagnes que d’années de service.

Il portait l’uniforme le plus râpé qu’on eût jamais vu, même dans le Grand-Ouest, ce qui n’est pas peu dire, et l’on aurait pu difficilement déterminer la couleur originelle de sa vareuse. Une chemise de laine sans cravate et un pantalon de soldat, fourré dans de grandes bottes, complétaient, avec une casquette blanche, le costume sous lequel il se montrait d’ordinaire.

Avec quelques autres officiers, il formait au mess du fort Lookout un petit clan de vieux garçons, qui protestaient contre les manières, trop raffinées à leur gré, de ceux de leurs collègues qui étaient mariés, et il passait une bonne partie de son temps à boire du whisky « de commissaire », en fumant une pipe infiniment courte.

Ce jour-là, il avait pour complices le docteur Slocum, chirurgien-major du fort, le capitaine Burke et deux ou trois lieutenants.

« Vous avez parfaitement raison, capitaine, grommela le docteur, l’armée n’est plus ce qu’elle était au temps du Mexique.

— Mais enfin, objecta un des lieutenants, en quoi l’armée peut-elle avoir tant changé ? Est-ce qu’elle fait moins bien son devoir ou ne sait plus se battre ?

— Mon cher, quand vous aurez trente ans de service, quinze campagnes et huit citations à l’ordre du jour, vous nous direz ce que vous en pensez ! répondit sentencieusement le capitaine Striker en regardant le chirurgien, qui fit entendre un ricanement approbateur.

— Ces jeunes gens ne doutent de rien ! reprit le vétéran entre deux bouffées de tabac.

— En fait d’aplomb, parlez-moi de ces blancs-becs à peine échappés de West-Point, » ajouta le capitaine Burke.

La discussion s’engagea sur les mérites respectifs des officiers sortis du rang, comparés à ceux de l’École militaire, et, comme c’était là un texte inépuisable de commentaires, elle aurait duré sans doute jusqu’à l’heure du dîner, si l’arrivée soudaine d’un étranger ne l’avait brusquement interrompue.

Le nouveau venu était un jeune homme vêtu de flanelle blanche, botté jusqu’au genou et coiffé d’un vaste chapeau de paille. Il entra comme un ouragan, en agitant au-dessus de sa tête un paquet de lettres et de journaux.

« Messieurs, votre serviteur ! fit-il. J’arrive de San-Antonio avec Charley du Colorado et le sac de la poste… Lieutenant, ces dépêches au commandant, s’il vous plaît !… Une lettre pour vous, Striker… Major, un paquet de journaux !… Hallett !… Kinsley !… voilà votre affaire… Et maintenant, messieurs, que disons-nous de neuf ?

— Parbleu ! mon cher Meagher, répondit le docteur, nous disons que vous êtes aussi bien venu que les roses en mai ! »

En moins d’une minute, la physionomie de