Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/617

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savais bien, malgré ma simplicité, qu’un voyage au Pérou coûte cher et que même les enfants de mon âge ne voyagent pas pour rien. Comme je n’avais pas d’argent, pas même de quoi payer mon passage dans un bac, la difficulté ne laissait pas que d’être sérieuse. Que faire ?

Je vous l’ai déjà dit, mes réflexions se succédaient avec la rapidité de l’éclair. Un quart d’heure ne s’était pas écoulé que je ne me préoccupais plus ni de la question d’argent ni de la surveillance du domestique de mon oncle, et que je prenais la résolution de partir le lendemain pour le Pérou, avec la conviction de réussir. Quant à dire dans quelle partie du monde se trouve le Pérou, je ne le savais pas plus que l’homme dans la lune, peut-être moins encore.

Toutefois, des matelots m’avaient raconté que le Pérou est un pays très chaud, rempli de mines d’or, de nègres, de serpents et de palmiers, et si loin d’Angleterre qu’il faut au moins six mois pour s’y rendre. C’était précisément le genre de pays que je désirais voir ; j’allais donc partir pour le Pérou à bord de l’Inca.

Ma résolution prise, je dus naturellement considérer de nouveau comment j’obtiendrais mon passage et comment j’échapperais à la surveillance de mon ami John, le conducteur de la charrette. La première difficulté, qui semble peut-être la plus grande, était à ce moment celle qui me préoccupait le moins. C’est que j’avais souvent entendu parler de jeunes garçons qui avaient quitté leurs parents et s’étaient fait admettre à bord de navires où ils avaient servi d’abord comme matelots. Je ne voyais à cela aucun empêchement ; j’étais convaincu que, pour être admis, il suffisait d’être assez grand et assez vigoureux et d’aimer le travail.

Ma taille seule me donnait de l’inquiétude. Je n’étais qu’un très petit garçon, plus petit même qu’on ne l’est d’habitude à cet âge, quoique je fusse bien bâti et assez solide. On m’en avait souvent raillé, et je craignais que cela ne fût un obstacle à mon embarquement sur l’Inca, où j’étais bien décidé à offrir mes services.

Pour le moment, c’était John qui m’embarrassait le plus. J’avais d’abord songé à le planter là et à le laisser partir sans moi ; mais, après réflexion, je me ravisai. Le lendemain matin, John reviendrait évidemment avec une demi-douzaine de domestiques et peut-être avec mon oncle lui-même, avant le départ du navire. Le crieur public publierait ma disparition à son de cloche ; on me chercherait dans toute la ville, peut-être même à bord de l’Inca, où je serais naturellement découvert, puis rendu à mon oncle, reconduit à la maison et fouetté d’importance. Je connaissais assez les dispositions de mon oncle pour être assuré que tel serait le dénouement de mon escapade. Je ne pouvais donc plus penser à laisser John partir sans moi. Après un moment de réflexion, je formai un meilleur plan : je résolus de m’en retourner avec John et alors de partir de la maison même.

Sans lui rien dire de mon dessein, je remontai avec lui dans la charrette ; nous revînmes au village, et je rentrai au logis, aussi calme en apparence que j’étais le matin au départ.