Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/629

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

croupissaient à fond de cale, depuis longtemps sans doute, et dont je pouvais entendre le clapotement, venait encore ajouter à mon agonie.

Par ces symptômes, il n’était pas difficile de reconnaître que j’avais le mal de mer ; je n’en étais, certes, nullement alarmé, quoique je fusse dans un état pitoyable, comme le sont, en général, ceux qui souffrent de cette horrible indisposition. Naturellement, la soif décuplait mes souffrances. Il me semblait qu’un peu d’eau pure m’aurait délivré de mes nausées et rendu la respiration plus libre ; que n’aurais-je pas donné pour en avoir ?

Dans la crainte du terrible pilote, j’endurai patiemment mes maux ; mais le roulis devenait de plus en plus intense, et les exhalaisons de la cale plus nauséabondes ; les convulsions de mon estomac augmentant en proportion, les haut-le-cœur finirent par être insupportables.

« Sûrement, me dis-je, le pilote doit être retourné à terre ; mais, qu’il soit parti ou non, je n’y peux plus tenir. Il faut que je monte sur le pont, où je meurs ! »

Je me soulevai et commençai à ramper à tâtons le long du grand tonneau. Arrivé à l’extrémité, je cherchai avec la main l’ouverture par laquelle j’avais pénétré. À ma grande surprise, je la trouvai close. Je n’en pouvais croire mes sens. En vain j’étendis les mains dans toutes les directions, elles arrivaient partout en contact avec un mur perpendiculaire, qui, à en juger par le toucher, était formé par une caisse énorme. Tout l’intervalle compris entre le tonneau et le flanc du navire était si complètement obstrué par cette caisse, qu’il n’y avait même pas de place pour y introduire le bout du doigt.

J’essayai de la mouvoir avec les mains puis avec l’épaule ; mais j’eus beau employer toutes mes forces, je ne réussis pas même à l’ébranler. Elle paraissait remplie de marchandises très pesantes, et elle était si volumineuse qu’un homme vigoureux aurait eu bien de la peine à la remuer.

Je revins alors sur mes pas avec l’espoir de sortir du côté opposé ; il fut bien vite déçu. Je ne trouvai pas un pouce de distance entre le grand tonneau et un autre tonneau semblable, qui s’appliquait, d’autre part, très exactement à la paroi du navire. C’est à peine si une souris aurait pu passer dans l’interstice. Je cherchai alors une issue au-dessus des deux futailles, mais sans plus de succès. Un espace, tout au plus assez grand pour admettre la main, existait seul entre le sommet des tonneaux et une immense poutre transversale. Si petit que je fusse, je ne pouvais donc songer à, m’y introduire.

Je vous laisse à imaginer la nature de mes sentiments quand je me vis ainsi emprisonné, muré au milieu de la cargaison.


CHAPITRE VIII
ENSEVELI VIVANT


Maintenant, je pouvais comprendre pourquoi la nuit m’avait semblé si longue. Il avait fait jour, mais la grande caisse m’avait intercepté la lumière. Au lieu d’une seule nuit, deux nuits et un jour au moins s’étaient écoulés depuis que j’étais tapi dans ma cachette. Je ne m’étonnais plus de me sentir si courbaturé et d’éprouver une soif ardente. Les courts intervalles de silence que j’avais observés étaient les heures des repas des hommes, et le long repos antérieur à l’appareillage correspondait évidemment à la deuxième nuit de mon séjour à bord.

Je vous ai dit que je m’étais endormi près-