Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/654

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CHAPITRE XIII
RÉFLEXION SUR LES RATS


Le vilain animal n’était que trop facile à reconnaître : aussi, dès que je sentis sous mes doigts son poil fin et lisse, je fus fixé sur son espèce. Bien plus, je n’avais pas encore eu le temps de lâcher prise que ses dents acérées me traversaient presque le pouce et que ses cris aigus, résonnant subitement à mon oreille, me pénétraient de terreur.

Me rejetant alors dans le coin le plus reculé de ma chambre, c’est-à-dire dans celui que je supposais le plus éloigné de mon désagréable visiteur, je m’y blottis quelques minutes et j’écoutai. N’entendant rien, je conclus qu’il s’était sauvé. Il était sans doute très effrayé, lui aussi, moins que moi cependant ; la preuve c’est qu’il avait eu la présence d’esprit de me mordre, tandis que je n’avais pas eu d’autre idée que de le lâcher. Dans cette rencontre presque subite, mon antagoniste l’avait certainement emporté, car, sans parler de la frayeur, il m’avait fait une grave blessure qui devenait à chaque instant plus douloureuse. Le sang qui s’en échappait me collait l’extrémité des doigts.

J’aurais encore supporté ma déconfiture avec assez de calme ; après tout, la morsure d’un rat n’est pas grand’chose ; mais j’étais surtout préoccupé de savoir si l’animal avait vraiment quitté la place, ou s’il se tenait à l’écart, tout prêt à revenir. L’idée qu’il allait reparaître, enhardi par l’impunité, me laissait fort perplexe. Bien n’est plus vrai, je vous assure ; les rats m’ont toujours inspiré de l’antipathie, je dirai même de la crainte. Ce sentiment était plus vif quand j’étais jeune, mais, quoique j’aie dû combattre depuis des animaux bien plus dangereux, aucun ne m’a causé plus de peur que cet être si commun et toujours présent, le rat. C’est un effroi mêlé de dégoût et qui a bien sa raison d’être ; je connais en effet plusieurs cas très authentiques où des rats ont attaqué des êtres humains. Il y a eu des enfants et même des hommes blessés ou infirmes qui ont été tués ou dévorés par ces hideux omnivores. On m’avait raconté plusieurs faits semblables dans mon enfance ; il était donc naturel qu’ils me revinssent à l’esprit en ce moment.

Ces souvenirs redoublaient ma terreur. De plus, le rat dont je vous parle était un des plus gros que j’eusse jamais rencontrés, si gros même que je croyais à peine que ce fût un rat ; il ne me paraissait guère inférieur à un chat de moyenne taille.

Dès que je fus un peu remis, j’entourai mon pouce d’un petit morceau de toile que j’enlevai à ma chemise ; en quelques minutes, ma blessure était devenue très douloureuse, et, si petite qu’elle fût, je soupçonnais que j’aurais beaucoup à en souffrir.

Pendant des heures, une pensée unique m’occupa : Que ferais-je s’il revenait ? Comment le détruire ou du moins comment me débarrasser de cet intrus ? Quoi que je fisse, je ne savais vraiment comment m’y prendre. Certes, s’il venait assez près de moi, je pouvais l’empoigner, comme j’avais déjà fait ; mais je me sentais peu d’humeur à recourir de nouveau à ce procédé. Je n’ignorais pas qu’il s’était sauvé par l’ouverture située entre les deux futailles ; je supposai donc que, s’il revenait, ce serait par le même chemin. Il me vint à l’esprit qu’en bouchant toutes les ouvertures, excepté celle-là, ce que je pouvais faire facilement avec des tampons d’étoffe, je lui couperais la retraite dès qu’il serait entré, en lui clôturant le passage. Il serait pris ainsi comme dans une trappe ; mais c’était me mettre dans une position embarrassante. Moi aussi je serais dans la trappe avec