Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/657

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je les sentais courir tout autour de moi, sur mes jambes, sur le dos de mes mains, partout, en poussant des cris féroces et menaçants.

Je dois avouer que la frayeur me fit presque perdre la tête. Je ne pensais plus désormais à les tuer ; je savais à peine ce que je faisais… J’eus pourtant la présence d’esprit de retirer ma jaquette de l’ouverture, puis j’en frappai le sol tout autour de moi, tandis que je criais de toute la force de mes poumons.

La violence de mes cris et de mes mouvements sembla produire l’effet désiré. J’entendis les rats se sauver parle passage, et, au bout de quelques instants, je m’aventurai à faire l’exploration de ma couche avec les mains nues. Je reconnus avec bonheur qu’ils avaient décampé jusqu’au dernier.


CHAPITRE XIV
LE RAT DE NORVÈGE


Si un seul rat avait suffi pour troubler mon repos, jugez de mon épouvante quand j’eus la certitude qu’une quantité de ces abominables animaux infestait mon voisinage, il y en avait certainement d’autres que ceux qui avaient pénétré chez moi ; pendant que j’obstruais l’ouverture avec ma jaquette, j’avais entendu des cris et des craquements à l’extérieur. Je savais d’ailleurs que ces animaux abondent à bord des navires, où ils se cachent dans les innombrables anfractuosités de la cale. Je savais aussi que les rats de navire sont de l’espèce la plus féroce, et que, poussés par la famine, ce qui est souvent leur cas, ils n’hésitent pas à attaquer des êtres vivants, ne redoutant d’ailleurs ni chiens ni chats. Ils commettent parfois de grands dégâts dans la cargaison et constituent une véritable calamité pour un navire, surtout quand on ne l’a pas convenablement nettoyé avant le chargement. Cette espèce est connue sous le nom de rats de Norvège, parce qu’on croit qu’elle a été importée en Angleterre par les navires norvégiens.

Si la Norvège est réellement son pays d’origine, il faut que tous les climats lui soient indifférents, car elle pullule surtout dans les parties les plus chaudes de l’Amérique.

Ces rats norvégiens ne sont pas très gros ; il y a cependant des exceptions. Ils se distinguent moins par la taille que par leurs dispositions féroces, jointes à une grande fécondité. Partout où ils font leur apparition, les autres espèces de rats disparaissent en peu d’années, d’où l’on conclut que le rat de Norvège détruit tous les autres.

Un fait particulier au rat de Norvège, c’est qu’il parait savoir quand il est le plus fort. S’il est peu nombreux dans un endroit et s’il court le danger d’être exterminé, il se montre assez timide ; mais, dans les endroits où on l’a laissé se multiplier, il s’enhardit et redoute beaucoup moins la présence de l’homme.

Je ne connaissais pas tous ces détails à l’époque de mon aventure avec les rats de l’Inca, j’en savais assez néanmoins, d’après ce que j’avais entendu dire aux marins, pour être très inquiet de la présence de toutes ces vilaines bêtes. Même après les avoir chassées de ma petite chambre, j’étais loin de me sentir à mon aise. Je considérais comme certain qu’ils reviendraient, peut-être plus nombreux encore, et que, si, pendant le voyage, ils étaient réduits à la famine, ils seraient assez hardis et assez féroces pour m’attaquer. Même à ce moment, il ne semblait pas que je les eusse effrayés ; malgré la violence avec laquelle je les avais chassés, je les entendais encore tout près de moi, criant et trottinant de plus belle. Que deviendrais-je