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Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/777

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les Indiens. Il fallait se tenir prêt, sans doute, mais attendre que, renseignés par Henry, le colonel et ses hommes eussent engagé l’action comme ils l’avaient préparée. Alors, mais seulement alors, les deux canons, braqués d’avance sur la tente du Zopilote, autour de laquelle le gros des sauvages surpris se masserait infailliblement, pourraient se mettre de la partie et faire merveille. Alors aussi, l’illumination du llano, venant par là-dessus, arriverait juste à point.

Une fois encore, l’avis du gambusino l’emporta.

Le silence était solennel, troublé, de temps en temps seulement, par le cri du coyote, que se renvoyaient les sentinelles indiennes, pour indiquer qu’elles faisaient bonne garde.

Les mineurs, étendus tout de leur long sur le plateau, l’oreille contre terre, s’imaginaient, grâce aux illusions de l’espérance, entendre, sur le llano, le piétinement de la cavalerie mexicaine.

Les premières heures de la nuit se passèrent dans une impatience fébrile, qui tint éveillés les mineurs les plus affaiblis, les femmes et jusqu’aux enfants.

Pedro Vicente, la carabine au poing, au milieu d’un groupe composé de don Estevan, de Robert Tresillian, de l’ingénieur et de plusieurs contremaîtres, répétait à chacun que ce n’était pas aux gens du plateau à engager l’action. Le colonel Requeñes était évidemment guidé par Henry. Il n’avait pas été sans apercevoir, dans la journée, le drapeau mexicain flottant au sommet de la Montagne-Perdue : donc, en homme expert qu’il était, il devait songer à une action commune entre ses troupes et les assiégés, mais aussi compter que ceux-ci lui en laisseraient, à lui, libre de ses mouvements, l’initiative. C’était élémentaire.

Deux heures se passèrent ainsi, mortellement longues, sans que rien vînt troubler le silence nocturne.

Une indescriptible émotion faisait battre les cœurs, et les plus faibles sentaient, dans leurs muscles, une force surhumaine.

« Patience, leur disait le gambusino, laissons le mouvement du colonel Requeñes s’accomplir, de manière à ce que les Indiens, surpris au milieu même de leur sommeil, ne puissent songer à la fuite. Encore quelques minutes, peut-être, et ce sera notre tour. Ne serait-il pas réjouissant de prendre à leur propre piège tous ces maudits qui, depuis des semaines, nous regardent comme une proie sûre, que rien ne pourra leur arracher ? »

Le gambusino parlait encore, que soudain une fusillade terrible réveilla tous les échos dans la plaine, et, presque en même temps, la crépitation des fusils fut dominée par la grosse voix des canons de Requeñes.

Des cris de terreur, des clameurs d’épouvante, mêlés à des hurlements de douleur montant aussitôt du camp des Coyoteros, décimés dans leur sommeil, prouvèrent aux assiégés que les coups de Requeñes avaient porté juste.

Cette foudroyante attaque, venant du côté même d’où ils croyaient si bien n’avoir rien à craindre qu’ils n’y avaient jamais posé de sentinelles, affolait et terrifiait les sauvages.

Ce fut bien pis encore, quand le fuseau de lumière électrique de l’ingénieur, projeté du sommet de la Montagne-Perdue, illumina leur camp, le désignant aux coups implacablement répétés de leurs invisibles agresseurs, que l’ingénieur avait eu bien soin de laisser dans les ténèbres.

Comme l’avait prévu le gambusino, les plus braves se serrèrent tout d’abord autour de la tente du Zopilote.

Le moment tant attendu était donc venu pour l’ingénieur de faire parler ses deux canons ; et ils vomirent, à point, leur double volée de mitraille sur la foule éperdue des Indiens.

Les plus intrépides, effarés, rugissaient. Les blancs avaient donc fait un pacte avec les esprits, pour pouvoir ainsi remplacer la nuit par le jour, et allumer ce soleil qui éclairait leur campement ?

Seul, le Zopilote, déjà à cheval, gardait un reste de sang-froid. Malgré le désarroi de ses hommes, il s’efforçait de les rallier, mais, d’intervalle en intervalle, les canons de Requeñes et ceux du plateau faisaient, dans leurs rangs, de nouveaux ravages.

Tout à coup, il poussa un formidable cri de rage.

Dans le cône de lumière électrique, qui s’élargissait en s’éloignant de la Montagne, il venait d’apercevoir un détachement de soldats mexicains s’avançant perpendiculairement au rocher.

L’aspect de cet ennemi saisissable sembla rendre le courage à tous ces hommes frappés