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LE CHEVAL SAUVAGE.

aucune raison décisive d’y persévérer, on est tenté à tout moment d’en prendre un autre. Croyez-moi, c’est une chose affreuse d’être égaré dans les pampas !

Je pouvais m’en convaincre en ce moment. J’avais déjà en d’autres temps parcouru la grande pampa ; mais c’était la première fois que j’avais le malheur d’y errer à l’aventure, et mon anxiété était d’autant plus vive que la faim épuisait presque toutes mes forces. Il y avait d’ailleurs dans les circonstances qui avaient déterminé cette triste situation quelque chose de singulier. La disparition de l’étalon, quoiqu’elle fût due à des causes naturelles, laissait une profonde et étrange impression dans mon esprit. J’avais beau m’en défendre, le fait que cet animal réputé mystérieux m’avait entraîné si loin pour m’échapper d’une manière si extraordinaire, me paraissait se rattacher à quelque pouvoir qui tenait du prodige. Malgré moi, j’étais ramené à des idées superstitieuses, mon esprit en faiblissant s’emplissait de conjectures fantastiques.

Je luttai cependant contre cet envahissement du découragement et réussis à rester assez maître de moi pour pouvoir m’occuper de prendre des mesures sérieuses en vue de sauvegarder ma sécurité. Je compris qu’il ne me servirait de rien de rester où j’étais. Je savais que je pouvais tout au moins suivre pendant quelques heures le bon chemin. Le soleil me tiendrait lieu de guide sûr jusque vers midi ; puis j’aurais à faire halte et à attendre un peu, car sous cette latitude méridionale et à cette époque de l’année, le soleil est à midi si proche du zénith que le meilleur astronome ne saurait distinguer le nord du sud. Je calculai que je serais peut-être en état d’atteindre vers midi la forêt, tout en sachant que ma position ne s’en trouverait guère meilleure. La nudité de la plaine n’inspire en effet pas de plus grandes inquiétudes que les clairières des