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ROMANS ET SATIRES.


l’avaient dans la tête ou dans le cœur, et cet élargissement naturel de l’œuvre conçue est le plus fréquent des phénomènes. Il ne s’ensuit pas que le meilleur moyen de prendre un livre ne soit pas de le recevoir des mains de l’auteur tel qu’il l’a écrit. S’il faut à tout prix, sous peine de méconnaître Diderot, faire de cette satire une œuvre symbolique, les contradictions accumulées la rendent proprement inintelligible. Au contraire, tout n’y devient-il pas clair si j’accompagne simplement le philosophe au Palais-Royal, sur le banc d’Argenson quand il fait beau, au café de la Régence quand le temps est trop froid ou trop pluvieux ; tantôt abandonnant son esprit à tout son libertinage et « suivant la première idée sage ou folle qui se présente, comme on voit nos jeunes dissolus marcher sur les pas d’une courtisane à l’air éventé, au visage riant, à l’œil vif, au nez retroussé, quitter celle-ci pour une autre, les attaquant toutes et ne s’attachant à aucune » ; tantôt se distrayant, quand il est fatigué, à voir « pousser le bois », parce que l’établissement de Rey « est l’endroit de Paris où l’on joue le mieux à ce jeu » ; causant enfin et discutant, parce que le silence lui pèse vite, avec le premier venu qui l’aborde et qui est de taille à échanger avec lui des impressions ? Or, une après-dînée, aux premières journées de l’année 1763, c’est Rameau qui vient à lui. Il l’a rencontré déjà dans une maison où le parasite avait son couvert, « mais à la condition qu’il ne parlerait pas sans en avoir obtenu la permission » ; il