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THÉÂTRE.


dieux et les demi-dieux étant morts, s’obstiner à évoquer les Atrides et les Césars, c’était condamner la scène à ne plus voir passer que des ombres de plus en plus pâles, des mannequins exsangues et sans souffle. Pour rendre une âme à la scène où s’étiolaient les dernières Électres avec les derniers Idoménées, il était nécessaire d’y amener des héros nouveaux qui seraient tout simplement des hommes, moins beaux apparemment et moins nobles, mais avec du sang plein les veines et des cœurs qui seraient autre chose que des mécaniques montées sur le même modèle. La légende est vidée, mais voici la vie humaine ; quelque lambeau que vous en empoigniez avec force[1], vous ferez naître l’intérêt. Le rayonnement de l’histoire manque à ces bourgeois, mais ils ont deviné que le tremplin le plus élastique pour lancer dans la société des idées novatrices, soit en morale, soit en législation, c’est le théâtre. « J’ai toujours pensé, prédit Diderot, qu’on discuterait un jour à la scène les points de morale les plus importants et cela sans nuire à la marche violente et rapide de l’action dramatique. Quel moyen que le théâtre si le gouvernement en savait user et qu’il fût question de préparer le changement d’une loi ou l’abrogation d’un usage ! » — Où s’est décidée sous nos yeux la victoire du divorce ? — Et qui donc, par conséquent, de Beaumarchais à Émile Augier et à Dumas, de Lessing à Ibsen, ne procède pas de Diderot ?

  1. Greift nur hinein ins bunte Menschenleben (Gœthe).
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