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THÉÂTRE.


font paraître encore plus vides. « Clairville se jette dans les bras de son ami ; Dorval verse quelques larmes sur lui ; Clairville pousse l’accent inarticulé du désespoir » ; voilà ce qui est censé donner l’image de la vie, l’illusion de la nature. L’affectation de la nature n’est pas moins insupportable que les autres, mais elle n’est pas plus vraie. Collé s’écriait, après la première représentation du Fils naturel : « Ah ! qu’il est peu naturel, ce beau fils ! » Le mot est exact de tout le théâtre de Diderot. L’intrigue a l’ambition d’être l’image des malheurs ordinaires qui nous environnent ; le nœud en est formé de plus d’invraisemblances que celui d’Héraclius ou de Pulchérie. Les dialogues qu’il a semés à profusion dans ses romans, ses fantaisies et sa correspondance, ont l’allure et le mouvement de la vie même ; son dialogue scénique se traîne, lent et lourd, uniforme et monotone, avec d’innombrables points de suspension au milieu des phrases et de non moins innombrables tirets qui sont censés donner l’illusion du naturel.

Avec la prétention d’inaugurer à la scène la peinture des conditions et des états, tous ces personnages, ombres de marionnettes, le père vertueux et le méchant commandeur, la jeune fille chaste et la vieille ravaudeuse, l’amant passionné et le frère jaloux, parlent tous du même ton ; et c’est toujours Diderot, mais le philosophe dans ce qu’il a de pire, la rhétorique à froid, la sensibilité à jet continu, la prédication laïque qui fait regretter celle de la chaire, la vertu systématique et obsédante qui donne l’envie