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DIDEROT.


de probité et des gens sans probité qui vantent leur bonheur », voilà l’ennemi. Et sa paraphrase ne tarit point, à l’appui de cette thèse, en brillantes tirades. Quand Shaftesbury faiblit ou paraît hésiter seulement dans le texte, c’est l’apôtre Denis qui redouble dans ses notes : « Non, la divinité n’est pas un vain fantôme ; non, le vice et la vertu ne sont pas des préjugés d’éducation ; non, l’immortalité de l’âme, la crainte des peines et l’espérance des récompenses à venir ne sont pas chimériques. » Et ailleurs, toujours en note : « L’athéisme laisse la probité sans appui ; il fait pis, il pousse indirectement à la dépravation. » Hobbes, qui ne croyait point en Dieu, était bon citoyen, bon parent, bon ami. Mais c’est que « les hommes ne sont pas conséquents, qu’on offense un Dieu dont on admet l’existence, qu’on nie l’existence d’un Dieu dont on a bien mérité et que, s’il y avait à s’étonner, ce ne serait pas d’un athée qui vit bien, mais d’un chrétien qui vit mal ».

Est-ce à la vue d’athées qui vivaient bien et d’un trop grand nombre de chrétiens qui vivaient mal qu’il faut attribuer l’évolution qui, en moins d’une année, a fait du commentateur de l’Essai sur la vertu l’auteur des Pensées philosophiques ? Je croirais plus volontiers que c’est la traduction même qu’il fit de Shaftesbury qui éclaira Diderot, tout comme un ingénieur qui construit une citadelle est le premier à reconnaître les points faibles de son ouvrage. L’évolution, pour être rapide, n’est point aussi brusque au surplus qu’en ont jugé des lecteurs