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DIDEROT.


roule des paillettes d’or et tu reviens les mains pleines de sable et tu laisses les paillettes ! » Son cœur, son cerveau et ses yeux sont ainsi ouverts à tout : mais il ne se contente pas de voir, de comprendre et de sentir ; il agit. Il a été surnommé par son siècle, d’une voix unanime, le Philosophe ; dans une société que domine Voltaire, que Rousseau bouleverse, où Montesquieu officie entre d’Alembert et Turgot, quand quelqu’un dit : « J’ai rencontré le philosophe », personne ne s’y trompe ; c’est Diderot. Mais cet amant de la sagesse est toujours prêt à la bataille. Il n’a ni la tribune ni la presse quotidienne : il n’a qu’une imprimerie toujours surveillée ; il peut tout juste faire circuler en copie les trois quarts de ses manuscrits ; il ne peut parler librement, encore qu’à voix basse, que dans deux ou trois salons. Mais qui donc, même dans notre siècle de toutes les libertés, où les idées se propagent avec toute la force de la vapeur et toute la vitesse de l’électricité, qui a plus agi et plus puissamment que lui ? Et s’il a ainsi tout compris, tout remué, tout fécondé, c’est que Pantophile a tout aimé.

Cette intelligence qu’aucune audace n’effraie, ce cœur qui regorge de sympathies étaient prédestinés sans doute à une existence dramatique et pleine de troubles ? Point du tout ; par l’un de ces contrastes où s’amuse le destin, sa vie est ordinaire, tout juste assez mouvementée pour ne pas être ennuyeuse, traversée à peine par deux ou trois de ces péripéties