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PHILOSOPHIE.


parfait honnête homme, c’est qu’elle est parfaitement immorale et qu’elle l’est naturellement, sans scrupule et sans inquiétude, comme un enfant est nu et comme une boule est ronde. Diderot, d’un bout à l’autre de sa vie, a été le plus brave homme du monde ; il est capable de dévouement et même de sacrifice ; sa probité scrupuleuse n’a jamais fait tort d’un liard à personne ; le traité qui le lie aux libraires de l’Encyclopédie, alors même que ceux-ci l’observent mal et que l’austère d’Alembert s’en affranchit à la première difficulté, il le tient, à travers tous les orages et tous les dégoûts, comme un pacte d’honneur ; sa bourse est toujours ouverte, il n’a jamais refusé à un indigent et il a donné, sans compter, le plus précieux de son temps à ses amis ; il a au cœur une pitié profonde pour toutes les souffrances, et cette pitié est active ; il a été bon fils, bon père, bon ami, il n’a pas dépendu de lui qu’il fût un mari fidèle, et s’il avait vécu cinquante ans plus tard, il eût été un bon citoyen et un excellent patriote. Non seulement il se conforme, en ce qui le concerne, aux règles de la plus sévère délicatesse, mais la vertu n’a jamais eu d’apôtre plus enthousiaste, de prédicateur plus véhément, de commis-voyageur plus agité ; des larmes pleins les yeux et la voix, il l’invoque sans cesse, souvent avec une pénétrante éloquence, parfois aussi dans les moments les plus inattendus, à souper et dans l’alcôve, et il en met partout ; son théâtre en est farci, sa tragédie familiale, baignée de pleurs, mérite d’avoir pour devise :