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PHILOSOPHIE.


le premier dans son Interprétation de la nature, dans la Réfutation d’Helvétius et dans le merveilleux fragment sur le génie :


L’esprit observateur, écrit-il, s’exerce sans effort, sans contention ; il ne regarde point, il voit ; il n’a aucun phénomène présent, mais ils l’ont tous affecté, et ce qui lui en reste c’est une espèce de sens que les autres n’ont pas ; c’est une machine rare qui dit : cela réussira,… et cela réussit, il est vrai… ou cela est faux… et cela se trouve comme il l’a dit. Cette sorte d’esprit prophétique n’est pas le même dans toutes les conditions de la vie ; chaque état a le sien. L’homme de génie sait ce qu’il met au hasard et il le sait sans avoir calculé les chances pour ou contre ; le calcul est tout fait dans sa tête.


Et encore :


Un homme s’occupe de physique, d’anatomie, de mathématiques, d’histoire ; la suite de quelques-unes de ses études le conduit à une conjecture que l’expérience justifie ; et l’auteur (Helvétius) appelle cela un hasard… Mais fait-on des expériences au hasard ? L’expérience n’est-elle pas souvent précédée d’une supposition, d’une idée que l’expérience confirmera ou détruira. C’est donc la nature, c’est l’organisation, ce sont des causes purement physiques qui préparent l’homme de génie ; ce sont des causes morales qui le font éclore ; c’est une étude assidue, ce sont des connaissances acquises qui le conduisent à d’heureuses conjectures ; ce sont ces conjectures vérifiées par l’expérience qui l’immortalisent. Rien ne se fait par saut dans la nature et l’éclair subit et rapide qui passe dans l’esprit tient à un phénomène antérieur avec lequel on en reconnaîtrait la liaison, si l’on n’était pas infiniment plus pressé de jouir de sa lueur que d’en rechercher la cause. L’idée féconde, quelque bizarre qu’elle soit, quelque fortuite qu’elle paraisse, ne ressemble point du tout à la pierre qui se détache du toit et qui tombe sur une tête. La pierre frapperait indistinctement toute tête également exposée à sa chute. Il n’en est pas ainsi de l’idée. Un passant ne dit point à un autre passant : Vous m’avez volé ma pierre,… et