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DIDEROT.


maux qui succéderont aux nôtres ? Tout change, tout passe, il n’y a que le tout qui reste. Le monde commence et finit sans cesse ; il est à chaque instant à son commencement et à sa fin ; il n’en a jamais eu d’autre, et il n’en aura jamais d’autre. Dans cet immense océan de matière, pas une molécule qui ne ressemble à une molécule, pas une molécule qui ne ressemble à elle-même un instant : Rerum novus nascitur ordo, voilà son inscription éternelle. »

Et n’allez pas croire qu’il n’y a là que le rêve fugitif d’un poète ivre du vin nouveau des jeunes sciences ; toutes ces prévisions fantastiques et prodigieuses des découvertes futures qui voltigent sur les lèvres du philosophe endormi, Diderot les a appuyées, sinon d’expériences personnelles, du moins de méditations, souvent désordonnées, mais presque toujours profondes, que provoquait incessamment chez lui une abondante lecture. Non seulement la gloire lui revient tout entière d’avoir posé le premier tous les principes essentiels du transformisme, cette gloire dont on a pendant si longtemps paré Lamarck parce qu’il a su codifier, dans un ordre d’ailleurs magnifique, les conceptions ébauchées avant lui. Mais il avait réuni encore pour justifier et démontrer ses conclusions une masse énorme de faits, de preuves, d’arguments et de notes, si bien que les assises du monument ne sont pas moins belles que l’édifice lui-même. Le rêve, s’il n’y avait qu’un rêve, serait l’un des plus extraordinaires qui aient jamais hanté un cerveau humain. Mais Diderot n’était pas qu’un voyant ; quelque puissante que soit chez lui l’inspiration prophétique qui lui fait entre-