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DIDEROT.


qu’ils habitent. L’inspiré est lui-même incertain quelquefois si la chose qu’il annonce est une réalité ou une chimère, si elle existera jamais hors de lui. Il est alors sur la dernière limite de l’énergie de la nature de l’homme et à l’extrémité des ressources de l’art. » Mais de pareilles ivresses prophétiques, ces délires de voyant sont nécessairement rares : « l’on n’a qu’une fois un certain tour de tête ». Non point assurément qu’on doive dédaigner la chaleur d’où se dégagent ces fulgurantes clartés passagères et qui est sa température normale. Plus grande force de calorique n’a existé en effet chez aucun homme ; son fourneau intérieur est toujours en combustion. Exubérant de vie, au bruit des idées qui battent comme des cymbales sous son front, il possède au suprême degré le don de faire vivre ; tout, sous sa plume comme sous sa parole, s’anime, respire et palpite. Qu’il décrive un instrument de mécanique, un simple outil ou une œuvre d’art, qu’il raconte un drame du cœur ou qu’il expose une controverse de métaphysique ou de science, il le fait avec la même vivacité d’intérêt. Sa curiosité est plus ou moins ardente ; elle est toujours éveillée. Ses mouvements sont plus ou moins précipités ; il ne reste jamais immobile. Mais cet enthousiasme, cette passion, cette allure de charge, c’est un charme puissant sans doute, parce que l’intensité de vie est pour les vivants la plus grande force d’attraction qui soit. Cependant, ce n’est point là le génie ; et même, la continuité du procédé finit par fatiguer.