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DENIS DIDEROT.


sauver la licence : la sienne a la lourdeur d’un pachyderme ou d’un traité de théologie ; il ne glisse jamais et appuie toujours. Comme il a eu les plus hautes envolées, il a connu les plus basses descentes de son siècle. Le chevalier de Castellux disait de ses livres que ce sont des idées qui, s’étant enivrées, se sont mises à courir les unes après les autres : elles se sont grisées trop souvent d’un vin trop grossier et leur course est une bacchanale de foire. Fils du peuple et resté peuple, s’il en a la santé robuste, il en a gardé aussi toute la grossièreté et ne s’est jamais décrassé.

S’il a aimé passionnément sur le tard, il ne recherche pas, par une timidité de rustre, la société des femmes ; même avec celles du monde encyclopédique qui ne rougissaient pas facilement, il n’est pas à l’aise ; il faut encore se gêner avec elles, et cela paralyse ses moyens ; il se trouve bien mieux avec des filles d’Opéra, « parce qu’on peut être avec elles comme on veut : bien sans vanité, mal sans honte », et mieux encore au cabaret où il peut se mettre en bras de chemise, boire son saoul, crier à tue-tête les petits madrigaux infâmes de Catulle qu’il sait par cœur. Il finira par oublier le chemin de la Chevrette ; Mme d’Épinay est trop fine, Mme d’Houdetot trop délicate ; sans les propos effrénés de Mme d’Aîne, la table même de d’Holbach n’eût pas suffi à le retenir au Grandval, et croyez que si la Tsarine ne lavait point convié à la traiter en garçon, il ne lui eût pas trouvé « l’âme

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