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DIDEROT.


il prenait toutes choses, le parti de son amie qui n’avait, au surplus, d’autre tort que sa trop longue bonté et sa charité pour un malade, cela est possible. Mais à quels autres sentiments, dans une pareille heure, n’eût-il pas convenu d’imposer silence ? Au contraire, Rousseau jette dans la bataille toute sa passion qui n’a peut-être jamais été plus éloquente et plus séductrice. Sous le masque de l’impartialité, il feint de tenir la balance égale entre les deux partis qu’il compare l’un et l’autre « à des loups enragés », dénonce l’« âme basse » de Voltaire, flétrit la corruption des philosophes qui méditent d’élever des théâtres dans les petites villes pures, et proclame enfin qu’« on ne peut être vertueux sans religion ». C’est la grande félonie du siècle. « Vous n’ignorez pas, lui écrit Saint-Lambert qui parle visiblement au nom de Mme d’Houdetot, quelles persécutions essuie Diderot et vous allez mêler la voix d’un ancien ami aux cris de l’envie ; je ne puis vous dissimuler combien cette atrocité me révolte. » Diderot, qui reçoit le coup en plein cœur, essaye, lui, de douter encore, se précipite chez Rousseau, le supplie au nom de sa propre gloire. En rentrant, accablé de douleur, il écrit ce seul mot : « J’ai vu un damné ! » On a dit que c’était déjà un fou ; ce qui est certain, c’est que ce fou raisonnait à merveille sa vengeance. Diderot n’a pas repassé sa porte que Rousseau court diffamer les philosophes chez Mme de Luxembourg. La belle-fille de la maréchale était la princesse de Robecq, la maîtresse de Choi-