Page:Relation historique de la peste de Marseille en 1720, 1721.djvu/173

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de la peſte de Marſeille


tout moyen de s’y refugier, par une cruauté inoüie, bien de gens jettoient de tems en tems de l’eau ſur le ſeüil de leurs portes & dans la ruë ; d’autres y faiſoient un enduit avec de la lie du vin, en ſorte que les malades ne pouvoient pas en aprocher. Que deviendront ces malheureux, rebutés de chacun, & chaſſés de partout ? ils ſe traînent juſques à une Place publique la plus prochaine.

C’eſt ici où la vûë de cent & de deux cens malades, dont ces Places étoient bordées, ſaiſiſſoit tout à la fois & le cœur & les ſens. Il falloit avoir perdu tout ſentiment, pour n’être pas touché de l’état de tant de miſerables, livrés à toute la rigueur d’une violente maladie, dont les douleurs devenoient plus cruelles par la privation de toute ſorte de commodité. D’un ſeul coup d’œil, on voyoit la mort peinte ſur cent viſages differens, & de cent couleurs differentes, l’un avec un viſage pâle & cadavéreux, l’autre rouge & allumé, tantôt blême & livide, tantôt bluâtre & violet, & de cent autres nuances qui les défiguroient : des

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