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RELIGIONS

— Il est généreux pour moi ; c’est pour cela que je me ferais tuer pour lui ! dit Bourdelange, en me regardant.

Mme Saint-Remy parut, les traits tirés, l’œil inquiet.

— Je pense, dit-elle, qu’on peut se mettre à table…

— À table ! commanda Saint-Remy. Vous n’aurez, Messieurs, qu’un dîner simple, mais sain. Quant à la qualité de l’esprit, il dépend de vous !

Bourdelange sourit, s’assit, et commença de parler. Il commença et continua. Il continua et ne s’arrêta plus.

Cet homme est plus banal que commun. Il est représentatif. À lui seul il évoque non le Parlement, mais le système et l’éloquence parlementaires. Il réalise ce prodige, en ramenant tout à soi, de rester magnifiquement impersonnel. Il parla durant tout le dîner, raconta des séances de la Chambre, des meetings, des entrevues avec les hommes les plus variés. Tout s’absorba en lui, disparut en lui, et rien ne demeura que lui. Au dessert, il évoqua Mussolini, ce que Mussolini lui avait dit : rien ne subsista de cet homme puissant ; c’était lui, Bourdelange, qu’on voyait avec son ronron sans défaillance, la rondeur de sa conception patriotarde, ses périodes que mentalement on aurait pu terminer toutes.