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Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/149

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ALLEMAGNE

devant tous les hôtels du Lion d’or, j’évoquais le poème de Gœthe. J’ai rencontré le pasteur, l’apothicaire, le juge. Mais soudain… nous nous sommes trouvés (j’étais dans une auto avec des Américains muets) devant un écriteau géant qui annonçait une « autostrade ». Alors, la route a commencé de tourner et de faire d’étranges évolutions, comme s’il fallait des précautions et des manières pour aborder cette haute nouveauté ; puis la voiture a pénétré, glissé, coulé… et a paru s’immobiliser, roulant à toute vitesse sur cette immense voie, où tout souvenir de Gœthe rapidement s’évanouit pour laisser la place au Dictateur, à sa volonté, à sa seule image. L’Allemagne nouvelle ! Ah ! oui, maintenant elle était là, éclatante, admirable, avec son travail acharné, son industrie parfaite, sa décision de réussir. Je demeurais stupéfait.

La machine allait comme dans un rêve, sans apparence d’effort, n’ayant plus l’air de l’emporter sur la route ; la route au contraire la portait, route en ciment, route sans défaut ! — Sans danger non plus : elle était double ; on ne croisait rien ; une vaste plate-bande, plantée naturellement de sapins, séparait les voitures qui circulaient dans les deux sens sur des pistes larges et droites. Je regardai le cadran de vitesse : nous marchions