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Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/151

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ALLEMAGNE

Mais les autres étaient si heureux d’y aider ! Si l’on devait s’arrêter, vingt bras se levaient pour nous prévenir. Devant les rues interdites, au risque d’être écrasé, toujours un gros homme se mettait en travers. Et souriant, d’autant plus épanoui qu’il avait vu l’« F » de la France sur l’auto.

Ce fut mon impression première ; je la confirmai partout. Durant trois semaines, je n’ai rencontré que des gens aimables ! Aimables avec la passion de l’ordre, à laquelle ils m’ont associé. Des hôteliers accueillants ; des usiniers empressés ; des chefs, sous-chefs et commis de Propagande, à mes pieds, avec des documents, des invitations, des sourires. À tel point… que ce fut trop ! Je n’ai pas été ravi ; j’ai été gêné. Pour eux et pour moi. Ils l’ont senti, puisque le personnage le plus important d’un ministère m’a demandé, dans l’inquiétude :

— Nous sommes aimables, n’est-ce pas, monsieur ?

Et comme je murmurais :

— Mais voyons !

Il a dit :

— Je veux dire, n’est-ce pas, monsieur : nous sommes assez aimables ?

C’est une des nombreuses fois où moi, qui aime parler, je n’ai plus trouvé qu’à me taire.

Avec de la méthode et de l’aménité qui ne croirait qu’on réalise une civilisation par-